La saisine de forums régionaux comme la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour interaméricane des droits de l’homme s’est avérée un moyen efficace pour renforcer l’obligation de protection des femmes victimes de la violence par un État. Ci-après un échantillon d’arrêts rendus:
Exemple: Dans l’affaire de 2007 Kontrova c. Slovaquie, la Cour européenne des droits de l’homme a réaffirmé l’obligation de l’État slovaque de prendre les mesures protectives nécessaires en cas de risque d’atteinte aux droits d’une personne par une autre personne. Dans cette affaire de violence conjugale, la plaignante a rapporté à la police que son mari la battait et lui faisait subir depuis longtemps des violences physiques et psychologiques. Quelques jours plus tard, le mari a accompagné sa femme au poste de police où celle-ci a retiré sa déposition. La police n’a pas donné suite à l’affaire, et, après un nouvel incident de violence conjugale qui s’est produit quelques semaines plus tard, le mari a abattu les deux enfants de la plaignante et s’est donné la mort. Dans son arrêt, la Court a précisé les conditions dans lesquelles les autorités devaient assumer une obligation positive, à savoir lorsqu’il était établi qu’elles savaient ou auraient dû savoir à un certain moment que la vie d’une personne identifiée était en danger réel et immédiat du fait des actes criminels d’une tierce partie, mais qu’elles n’ont pas pris les mesures relevant de leurs compétences lesquelles, appliquées avec discernement, auraient pu éviter ce danger. La Cour a jugé que la police avait été informée des risques encourus par la plaignante et ses enfants par la plainte déposée auparavant par celle-ci pour violences et menaces de violence constantes avec une arme à feu. La Cour a affirmé que le fait de ne pas lancer une enquête pénale, de ne pas engager une procédure judiciaire contre le mari et de ne pas intervenir à la suite des menaces répétées proférées par celui-ci constituait une atteinte au droit à la vie protégé par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Exemple: Dans l’affaire opposant Bevacqua et S. et la Bulgarie, jugée en 2008, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la l’État bulgare avait porté atteinte à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en n’aidant pas une victime de la violence conjugale à engager une action judiciaire à l’encontre de son agresseur et en ne se prononçant pas dans un délai raisonnable sur le litige portant sur la garde de l’enfant de la victime et de son agresseur. La victime avait subi des violences de la part de son mari et demandait le divorce et la garde de leur enfant unique. La législation bulgare stipule qu’en cas de lésions corporelles légères résultant d’actes de violences conjugales, il appartient à la victime de poursuivre son agresseur. La Cour a estimé qu’il était déraisonnable d’assumer que la victime intenterait pareille action dans ce cas particulier, et qu’en agissant de cette manière, l’État bulgare manquait à ses obligations au titre de l’article 8 de la Convention. La Cour a également constaté une atteinte à l’article 8 portant sur les délais d’intervention des autorités en matière de garde d’enfant pendant la période transitoire des procédures de divorce.
Exemple: Dans le Caso Gonzáles y Otras (“Campo Algodonero” c. Mexique (en espagnol seulement), jugé en décembre 2009, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (IACHR) a estimé que le Gouvernement mexicain n’avait pas respecté les droits de l’homme de ses citoyens au titre de la Convention interaméricaine des droits de l’homme et de laConvention de Belém do Pará en n’enquêtant pas sur la mort de trois femmes à Ciudad Juarez, ville qui a été le théâtre de nombreux actes de violences sexuelles et de fémicides non résolus depuis 1993. La Cour interaméricaine a estimé que l’État mexicain devait légiférer et agir avec la diligence voulue pour prévenir, enquêter et sanctionner la violence faite aux femmes. La Cour a jugé que l’État mexicain avait porté atteinte aux droits fondamentaux des familles des victimes en ne leur facilitant pas l’accès à la justice et l’a invité à prendre des mesures correctives, en particulier le versement de plus de 200.000 dollars à chacune des familles des trois femmes, l’adoption de mesures visant à retrouver les auteurs du fémicide, et la construction d’un monument à la mémoire des centaines de victimes féminines de meurtre.
Exemple: Dans l’affaire Opuz c. Turquie, jugée par la Cour européenne des droits de l’homme en juin 2009, celle-ci a affirmé que la violence sexiste était une forme de discrimination interdite en vertu de la Convention européenne des droits de l’homme, et que l’État turc violait ses obligations de protection des femmes de la violence domestique en ne répondant pas de façon adéquate aux plaintes déposées par la plaignante et sa mère pour actes de violence domestique brutale commis par le mari de celle-ci sur une période de 12 ans. Le mari violent a fini par tuer à coups de feu la mère de la plaignante. Celle-ci a saisi la Cour européenne après de nombreuses tentatives infructueuses de demander justice devant les tribunaux turcs. La Cour a relevé que malgré l’existence d’une législation contre la violence familiale, celle-ci n’était pas appliquée par la police et le ministère public, et l’appareil judiciaire ignorait le plus souvent les plaintes pour violence domestique. Dans son arrêt historique, la Court a jugé que l’État turc était responsable pour n’avoir pas assuré la protection de la victime décédée et de sa fille. En outre, la Cour a stipulé pour la première fois que la non-intervention des autorités en cas de violence domestique s’apparentait à une atteinte au droit à la non-discrimination basée sur le sexe (Article 14) en vertu de la Convention européenne. Cet arrêt est considéré comme un événement majeur dans le cadre juridique du Conseil de l’Europe relatif aux droits des femmes. Le Cour a également estimé que l’État turc avait porté atteinte au droit à la vie (article 2) et au droit d’être à l’abri de la torture et des mauvais traitements (article 3) tels qu’ils figurent dans la Convention européenne.
Exemple: Dans l’affaire Branko Tomasic c. Croatie (2009), la Cour européenne des droits de l’homme a réaffirmé l’obligation de l’État de prévenir, réprimer et sanctionner les infractions au code pénal qui garantit le droit à la vie en vertu de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, telles que décrites dans l’affaire de 2007 Kontrova c. Slovaquie susmentionnée. La Cour a estimé que les autorités slovaques avaient failli à cette obligation. Malgré les allégations de la plaignante selon lesquelles le père de son enfant avait proféré des menaces répétées de violence, et une évaluation psychiatrique qui avait conclu que l’homme souffrait de graves troubles de la personnalité, celui-ci a été remis en liberté après avoir purgé une peine légère. Après sa remise en liberté, l’homme a tué sa femme et sa fille et s’est donné la mort. La Cour a estimé que les mesures de protection prises par les autorités croates ont été insuffisantes car le domicile et le véhicule de l’agresseur n’ont pas été fouillés malgré ses menaces de lancer une bombe sur la plaignante et sa fille. En outre, la Cour a jugé que le traitement psychiatrique ordonné par les autorités a été de trop courte durée et ne semblait pas avoir été réellement et correctement administré lorsque l’homme était en détention, et qu’aucune évaluation médicale n’avait été effectuée avant sa remise en liberté pour établir s’il posait toujours une menace pour les autres.
Exemple: En 2010, la Cour interaméricaine des droits de l’homme (IACHR) a rendu des arrêts dans deux affaires impliquant le viol de femmes autochtones Tlapanec par des soldats mexicains, Rosendo Cantú y Otra c. Mexique (en espagnol seulement) et Fernández Ortega y Otros c. Mexique (en espagnol seulement). La Cour a estimé que l’État mexicain n’avait pas respecté “les droits à l’intégrité personnelle, à la dignité et à la protection légale” des deux victimes. Les deux femmes ont été violées en 2002 après avoir été abordées et interrogées par un groupe de soldats. Les victimes ont d’abord cherché à obtenir justice auprès des autorités locales, mais aucune enquête ni action judiciaire véritables n’ont été menées en raison de l’indifférence et de la discrimination envers les victimes. Les dossiers ont finalement été transmis aux tribunaux militaires mexicains, qui ont stipulé qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes pour poursuivre les soldats. Les deux victimes se sont alors tournées vers la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui les a orientées vers la IACHR. Cette juridiction a décidé d’accorder des dommages-intérêts de plus de 100.000 dollars à chacune des victimes et a invité l’État mexicain à modifier son système judiciaire pour que ce type d’atteintes aux droits de l’homme ne relève plus de la compétence des tribunaux militaires.
Exemple: Dans l’affaire Rantseva c. Chypre et Russie (2010), la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le Gouvernement chypriote violait la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ne protégeant pas Oxana Rantseva, ressortissante russe, de la traite des personnes et de l’exploitation à Chypre. La Cour a jugé que l’État chypriote contrevenait à l’article 2 (garantissant le droit à la vie), à l’article 4 (interdisant l’esclavage, la servitude et le travail forcé) et à l’article 5 (garantissant le droit à la liberté et à la sécurité) de la Convention. Mme. Rantseva a obtenu un visa d’”artiste” pour travailler dans un cabaret à Chypre, où elle ne s’est toutefois produite que quelques jours. Peu après, son employeur a demandé aux autorités de police et d’immigration chypriotes d’arrêter Mme. Rantseva pour séjour illégal dans ce pays car elle n’avait plus d’emploi. Les autorités ont toutefois décidé de remettre Mme. Rantseva à son employeur. Celle-ci a été retrouvée morte peu après dans des conditions mystérieuses. L’affaire est importante car la Cour a jugé que la traite des êtres humains relevait de l’article 4 de la Convention et que l’État chypriote manquait à ses obligations en vertu de cette disposition, le régime de visas d’”artiste” rendant les employés dépendants de leurs employeurs au point de créer un environnement propice à l’exploitation. La Cour a également estimé que l’État chypriote n’avait pas assuré aux fonctionnaires de police une formation leur permettant d’enquêter lorsqu’il y avait lieu de croire à des activités de trafic humain. Le tribunal a par ailleurs tenu l’État russe pour responsable pour ne s’être pas conformé à l’article 4 de la Constitution, en n’enquêtant pas sur les aspects du recrutement lié à la traite des êtres humains, tels que la possible implication d’agents individuels ou de réseaux d’agents en Russie dans la traite de Mme. Rantseva à Chypre. La Cour a ordonné aux Gouvernements cypriote et russe de verser des dommages-intérêts au père de la victime.
Exemple: Dans l’affaire Hajduova c. Slovaquie de 2010, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que les autorités slovaques avaient contrevenu à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en ne se conformant pas à leur obligation statutaire d’ordonner la détention de l’ancien mari de la requérante dans un établissement de soins psychiatriques immédiatement après la condamnation de celui-ci pour violences et menaces.
La procédure pénale de cette affaire a révélé que l’ex-mari de la requérante souffrait de troubles mentaux graves qui nécessitaient son hospitalisation pour soins psychiatriques. Le tribunal saisi a décidé de ne pas le condamner à une peine d’emprisonnement, jugeant plutôt qu’il devait suivre un traitement psychiatrique. Bien qu’hospitalisé, l’ancien mari de la requérante n’a pas été soumis au traitement recommandé et le tribunal n’a pas ordonné qu’un tel traitement lui soit administré. Après sa sortie de l’hôpital, celui-ci a commencé à proférer des menaces à l’encontre de la requérante, de son avocat, et d’autres personnes. La requérante a porté l’affaire devant la Cour européenne, invoquant la violation de ses droits en vertu de la Convention. Le tribunal a jugé que, eu égard aux circonstances de l’espèce, le Gouvernement slovaque n’avait pas pris les mesures nécessaires de protection de la plaignante en n’ayant pas ordonné l’internement psychiatrique immédiat de l’ex-mari. En arrivant à cette conclusion, la Cour a souligné la vulnérabilité particulière des victimes de la violence domestique et l’obligation des États d’en assurer la protection.
La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a établi GRIEVO (Groupe d’experts pour la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique), quoique celui-ci ne soit pas un mécanisme de traitement de plaintes, au niveau européen.
Les forums régionaux incluent la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples qui entend des affaires relatives aux atteintes aux droits de l’homme dans les pays membres de l’Union africaine, et la Cour de justice de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cour de justice de la CEDEAO) qui est habilitée, en vertu de son Protocole additionnel, à entendre des affaires soumises par des individus sur des atteintes à leurs droits fondamentaux.
Voici un échantillon d’arrêts rendus par des forums régionaux:
Exemple: Dans l’affaire Doebbler c. Soudan, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples a estimé que la flagellation de huit étudiantes violait l’article 5 de la Charte africaine et a invité les autorités soudanaises à abolir ce type de peine et à indemniser les victimes pour les blessures subies. Étudiantes de l’Association Nubia de l’Université Ahilia, celles-ci avaient été arrêtées pour des activités immorales qui portaient atteinte à l’ordre public, en contravention du Code pénal soudanais, qui incorpore la loi islamique (charia). Les activités immorales reprochées aux étudiantes ont été d’“échanger des baisers entre filles, de porter le pantalon, de danser avec des hommes, de croiser les jambes en la présence d’hommes, de s’asseoir avec des garçons, et de s’asseoir et parler avec des garçons”. Les prévenues ont été condamnées à des amendes et à 25 à 40 coups de fouet. La flagellation a été administrée en public avec un fouet en fil de fer et plastique. Le fouet n’était pas propre, la flagellation ne s’est pas déroulée sous contrôle médical, et les femmes étaient dos nu en public lorsqu’elles ont été fouettées. La Commission a estimé que la flagellation portait atteinte à l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle a demandé aux autorités soudanaises d’abolir la peine de flagellation et d’indemniser les femmes pour les blessures subies.
Exemple: Dans Koraou v. Niger (2008), la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cour de justice de la CEDEAO)
a jugé que la République du Niger était responsable pour l’épreuve subie par Hadijatou Mani Koraou. Celle-ci avait été vendue à l’âge de 12 ans par le chef de sa tribu comme domestique et concubine à un homme de 46 ans, El Hadji Soulaymane Naroua de Hausa. Pendant neuf ans, Mme. Koraou a effectué des tâches ménagères pour M. Naroua, tout en étant soumises à des actes sexuels forcés. Neuf ans après l’avoir achetée, M. Naroua lui a remis un document d’émancipation. Il a toutefois refusé de la laisser quitter la maison en affirmant qu’elle était sa femme.
Mme. Koraou a entamé une action judiciaire et a épousé un autre homme avant que la justice ne se prononce sur son cas. L’ayant appris, M. Naroua a engagé des poursuites pour bigamie contre Mme. Koraou devant la chambre criminelle de la Haute Cour de Konni. Mme. Koraou, son frère et l’homme qu’elle a épousé ont été condamnés à six mois de prison. Pendant la détention de Mme. Koraou, son avocat a déposé une plainte pour esclavage contre M. Naroua auprès du ministère public. La Haute Cour de Konni, qui avait précédemment reporté sa décision, s’est prononcée en faveur de Mme. Koraou sur son “action en divorce” et a estimé que celle-ci devait d’observer un délai minimum légal de viduité de trois mois avant de se remarier. Après sa remise en liberté, Mme. Koraou a saisi la Cour de justice de la CEDEAO. La Cour a jugé que la plaignante a été victime d’un acte d’esclavage en contravention de l’article 5 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et des autres instruments internationaux, et que les autorités nigériennes en étaient responsables du fait de l’inaction de leur administration et de leur appareil judiciaire. La Cour a instruit l’État nigérien à verser à Mme. Koraou la somme de 10.000.000 de francs CFA et des frais de justice au titre de réparation du préjudice subi.
Outils pour saisir les mécanismes régionaux
Pour des renseignements sur la façon de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, cliquez ici (Instructions fournies dans de nombreuses langues).
Questions et Réponses (Greffe de la Cour, Cour européenne des droits de l’homme). Disponible en anglais et français.
Guide pratique sur la recevabilité (Conseil de l’Europe et Cour européenne des droits de l’homme, 2010). Disponible en anglais et français.
Pour des renseignements sur la façon de saisir la Cour interaméricaine des droits de l’homme, voir Petitions and Consultations before the Inter-American System en espagnol et anglais.
Pour des renseignements sur la façon de saisir la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, cliquez ici.
Pour des renseignements sur la façon de saisir la Cour de Justice de la CEDEAO, cliquez ici.
Le Avon Global Center for Women and Justice au Cornell Law School permet d’accéder aux instruments et à la jurisprudence régionaux relatifs à la violence sexiste dans le monde. Disponible en anglais.
Recueil de Ressources juridiques préparé par le Avon Global Center for Women and Justice. Base de données approuvées et consultables qui inclut des synthèses et textes d’arrêts complets rendus par des mécanismes régionaux des droits de l’homme en matière de violence sexiste. Les synthèses sont disponibles en anglais, les décisions dans de nombreuses langues.
CEJIL, Summaries of Jurisprudence, Gender-Based Violence (2011). Recueil d’arrêts rendus par des mécanismes régionaux des droits de l’homme en matière de violence sexiste. Disponible en anglais et espagnol.