Les mécanismes judiciaires hybrides (à ne pas confondre avec les tribunaux hybrides) présentent les caractéristiques à la fois des mécanismes informels et des mécanismes formels. Au départ, ces instances juridiques ont peut-être fonctionné comme des systèmes communautaires avant d’être partiellement intégrées au système judiciaire et régies par la loi (UK Department for International Development, 2004) (Ministère du développement international du Royaume-Uni, 2004). Les Local Council Courts (Tribunaux des conseils locaux) en Ouganda sont un exemple de mécanisme hybride - ils ont commencé comme des conseils de “résistance” pendant la guerre civile des années 1980. Ils fonctionnaient dans des régions qui n’étaient plus administrées par l’État et se composaient de membres élus par tous les adultes d’un village donné. Le conseil de résistance pouvait également remplir le rôle de mécanisme de réglement des différends. Après le changement de régime en Ouganda, les tribunaux des conseils de résistance ont été officiellement inscrits dans le droit et sont désormais connus comme les tribunaux des conseils locaux (Penal Reform International, 2000). Les tribunaux des conseils locaux jugent des affaires de caractère civil découlant des activités quotidiennes qui relèvent de leur compétence ou des affaires découlant d’infractions aux règlements locaux.
Un autre type de mécanisme hybride est fréquemment utilisé dans les systèmes judiciaires formels des sociétés colonisatrices, comme celles des États-Unis et du Canada. Ces systèmes de justice formelle ont adopté certaines pratiques autochtones de règlement des différends. Ainsi, les tribunaux exigent que certaines affaires soient soumises à la médiation communataire avant d’être présentées à la justice officielle; ces modes de médiation sont souvent validés et financés par l’État. Certains autres tribunaux formels ont incorporé dans leurs procédures des pratiques fondées sur des traditions communautaires.
Rwanda - Développement de la justice hybride dans des situations d’après-conflit
Les tribunaux gacaca, créés au Rwanda après le génocide dans ce pays, constituent un exemple d’adaptation d’un mécanisme de justice traditionnelle qui a été intégré au système judiciaire formel. Signifiant littéralement “gazon” ou “sur l’herbe”, les tribunaux gacaca fonctionnent en plein air dans des milliers d’endroits du pays. Les femmes forment la majorité des victimes et des témoins de la violence au Rwanda. En outre, le recours au viol comme une tactique de génocide dans ce pays a incité le système gacaca à accorder une attention prioritaire à la participation des femmes aux travaux des tribunaux et à la responsabilisation des auteurs de violences contre les femmes. Alors que dans le passé les femmes n’étaient pas autorisées à servir comme juges gacaca, le Gouvernement rwandais exige désormais que 30% au moins des magistrats soient des femmes.
Le traitement de la violence sexuelle par le système judiciaire de transition du Rwanda a été complexe et a soulevé de vives inquiétudes. Les autorités ont inscrit les actes de violence sexuelle dans les crimes de catégorie 1 en vertu du droit gacaca, avec les autres formes de délits les plus graves, comme la planification du génocide. Pour les crimes de catégorie 1, les témoignages et les preuves initiales sont recueillis lors d’audiences communautaires gacaca, mais les tribunaux formels ont compétence en la matière. Ils infligent des peines plus lourdes que les tribunaux gacaca, mais leurs délibérations sont plus lentes et ils sont plus difficiles d’accès pour les victimes, autant du point de vue du temps de déplacement que des dépenses engagées.
Les tribunaux gacaca n’ont pas connu des affaires de viol liées au génocide jusqu’en 2008, date à laquelle les autorités ont transféré la compétence pour ces dossiers des tribunaux formels aux tribunaux gacaca. Cette décision a gravement compromis l’objectif initial de protéger la vie privée des victimes car, même si les audiences devaient s’y tenir à “huis clos”, les victimes étaient persuadées que l’appartenance des juges à leur communauté et parfois même à la famille du prévenu rendait impossible le respect du principe de confidentialité. Fait important, les tribunaux gacaca, à la différence des tribunaux conventionnels, n’accordent pas des dommages et intérêts. Les femmes qui ont participé aux travaux de ces tribunaux n’ont pas manqué de dénoncer leur caractère corrompu évident, les offres de pots-de-vin, le manque d’impartialité, et la difficulté de convaincre les témoins d’y comparaître. Certaines victimes ont néanmoins apprécié la possibilité de se faire accompagner aux audiences d’un avocat et d’un ami et d’inspecter d’avance les salles où devait se tenir leur procès. Par ailleurs, un certain nombre de victimes ont profité de l’occasion qui leur était offerte de présenter leur argumentation au tribunal sous forme de lettre, ce qui n’aurait pas été possible dans un tribunal conventionnel.
Adapté à partir de: UNIFEM. 2009. Gacaca and transitional justice in Rwanda et Human Rights Watch, 2011. Justice Compromised: The Legacy of Rwanda’s Community-Based Gacaca Courts.