Fonctions et missions de la magistrature

Dernière modification: February 26, 2011

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Le système de justice pénale doit être conçu de telle sorte que tous les auteurs de crimes « d’honneur » aient à rendre compte de leurs actes et que la sécurité des victimes soit assurée. La loi doit imposer à l’appareil judiciaire de travailler en coordination avec la police, les associations de défense, les professionnels de la santé, les acteurs de la justice pénale, les services de protection de l’enfance, les entreprises locales, les médias, les employeurs, les chefs religieux, le clergé et les organismes travaillant auprès des victimes et des communautés immigrées. Voir : Action communautaire concertée (en anglais), StopVAW.

 

Pouvoir judiciaire discrétionnaire

La législation doit limiter le pouvoir discrétionnaire des juges pour alléger les peines, réduire les chefs d’accusation ou disculper les auteurs de crimes « d’honneur ». Plus précisément, la loi doit interdire aux juges d’utiliser les éléments suivants comme circonstances atténuantes dans les affaires « d’honneur » :

  • les transactions privées, la réconciliation et le pardon entre l’auteur des violences et la victime ou sa famille ;
  • le niveau du déshonneur perçu par la famille et l’auteur des violences ;
  • la conduite passée notamment les antécédents sexuels de la victime, ayant prétendument enfreint le code traditionnel de « l’honneur » ;
  • la moralité ou l’éthique du comportement de la victime, ayant conduit le coupable à commettre le crime « d’honneur » ;
  • le fait que l’auteur des violences soit la principale source de revenu du foyer ;
  • les moyens de défense invoqués dans les affaires de crimes « d’honneur » et les fémicides familiaux, notamment :
    • le crime passionnel,
    • la provocation,
    • « l’honneur », la moralité ou l’éthique,
    • l’adultère, que l’auteur des violences en ait ou non été témoin.

La loi doit imposer aux juges d’assister à des formations sur les crimes « d’honneur » et les violences familiales afin de dissiper les idées fausses qu’ils peuvent avoir. Ces formations doivent les informer sur les droits fondamentaux des femmes, les violences à l’égard des femmes, les sensibilités culturelles, les stéréotypes négatifs sur les femmes et les filles, les violences commises au nom de « l’honneur » – notamment leur prévalence, avec une définition de leurs caractéristiques, des facteurs de risque et des conséquences –, les besoins des victimes, l’épreuve que représente l’action en justice pour les victimes, et l’impact de l’attitude de la justice sur les délinquants. Le législateur doit collaborer étroitement avec la société civile pour assurer une surveillance civile et indépendante du travail de l’appareil judiciaire et mettre en place des procédures de plaintes contre les manquements de la justice, examinées par une instance indépendante. Il doit aussi indiquer aux juges comment évaluer les risques pour la sécurité dans les affaires « d’honneur » lors de la détermination de la peine.

Le Manuel ONU recommande que la législation prévoie l’élaboration par les services ministériels compétents, en collaboration avec la police, le parquet, les juges, les professionnels de la santé et de l’éducation, de règlements, directives et autres protocoles à mettre en œuvre dans un délai défini après l’entrée en vigueur des lois (p. 21-22). Les directives doivent commander aux juges de traiter les crimes « d’honneur » comme des crimes graves et les informer des limites à poser à la recevabilité des moyens de défense mentionnés plus haut dans le cas des crimes « d’honneur » et des fémicides familiaux. Elles doivent également porter sur la détermination de la peine et imposer d’infliger des peines comparables à celles prévues pour d’autres violences, de ne pas laisser les auteurs de violences impunis et de veiller à la sécurité de la victime. Elles doivent indiquer aux juges de faire preuve de prudence ou même leur interdire de prononcer des suspensions de peines, des libérations sous caution, des libérations conditionnelles ou des sursis dans les affaires de crimes « d’honneur ». Pour décider d’une peine d’emprisonnement ou d’une mise en liberté provisoire, le juge doit toujours considérer en priorité la sécurité de la victime en cas de libération de l’auteur des violences, et les directives doivent lui ordonner de refuser la libération, d’imposer des conditions de libération garantissant la sécurité de la victime et/ou de prononcer une injonction d’éloignement assortie d’un avertissement verbal sur les conséquences du non-respect d’une ordonnance. Elles doivent décourager les juges d’ordonner une médiation dans les affaires de crime « d’honneur », compte tenu du déséquilibre des pouvoirs qui existe dans ces situations. Il faut enfin qu’elles traitent de la question de l’attitude de la justice et commandent aux juges d’écouter la victime, de la prendre au sérieux et d’être attentif à ses besoins. Voir : Les juges face aux violences familiales (en anglais) PLACEHOLDER: CHECK FOR COUNTRY EXAMPLES.

Par ailleurs, la législation doit prévoir la création d’un code de conduite judiciaire ou, là où il en existe un, prévoir sa révision et son évaluation pour vérifier qu’il respecte les droits fondamentaux des femmes et des filles. Voir : Principes fondamentaux des Nations Unies relatifs à l’indépendance de la magistrature. Le législateur doit collaborer étroitement avec la société civile pour assurer une surveillance civile et indépendante du travail de l’appareil judiciaire et mettre en place des procédures de plaintes contre les manquements de la justice, examinées par une instance indépendante. La législation doit affecter des fonds à un organe indépendant chargé de surveiller les tribunaux afin d’identifier de façon systématique les améliorations à apporter à la conduite de la justice dans ce type d’affaires, et d’augmenter la visibilité des crimes « d’honneur ». Voir : Programmes de surveillance de la justice (en anglais), StopVAW.

Le législateur doit réfléchir sur la création de tribunaux spécialisés pour traiter les affaires de violences contre les femmes, notamment les crimes « d’honneur », et veiller à ce qu’ils soient suffisamment pourvus en personnel et en moyens financiers, avec des formations appropriées. Ce type de tribunaux peut favoriser la répression des actes de violence et la protection des victimes en facilitant l’accès des victimes à la justice et à des ressources, et en garantissant que les magistrats chargés de ces affaires, en particulier les juges, aient davantage de compétences en la matière. Voir : Des tribunaux spécialisés dans la violence familiale (en anglais), StopVAW. Il convient également d’encourager le recrutement d’un plus grand nombre de femmes dans la magistrature.

 

Pratique encourageante : en 2008, le gouvernement libérien a créé un tribunal spécial ayant compétence exclusive sur les affaires de viol et les autres formes de violence à l’égard des femmes et des mineures. Basé à Monrovia, la capitale du pays, il est entièrement opérationnel depuis février 2009. Durant la longue guerre civile du Liberia, qui a pris fin en 2003, le viol des femmes et des filles est devenu omniprésent. Une nouvelle loi plus sévère a été adoptée en 2005 pour lutter contre cette pratique, mais les affaires de viol ont continué de se multiplier, faisant rarement l’objet de poursuites ou de condamnations devant les tribunaux ordinaires. Des études indiquent que plus de 90 % des femmes et des enfants du Liberia ont subi une forme quelconque de violence sexiste ou sexuelle. Selon un rapport des Nations Unies sur les droits de l’homme publié en 2006, les tribunaux et la police du Liberia n’ont pas pleinement appliqué la nouvelle loi contre le viol. Un autre rapport a estimé que moins de quatre affaires avaient été effectivement jugées au cours de l’année ayant suivi l’adoption de la loi, faisant observer que l’appareil judiciaire avait cruellement besoin d’être réformé et ne fonctionnait que 42 jours par an. Voir : Lois Bruthus, Tolérance zéro pour les violeurs libériens (en anglais), Sexual Violence, 2006. Ce problème persiste malgré la création de la nouvelle juridiction, appelée tribunal pénal « E », et la progression des inculpations, mais l’on constate tout de même une augmentation du nombre de signalements de viols et d’autres délits sexuels – le viol figurait en tête des plaintes déposées auprès de la police libérienne en 2009. On espère que le nouveau tribunal renforcera l’appareil judiciaire en permettant de gérer rapidement les actions pénales intentées contre les auteurs de violences sexuelles, et accroîtra la capacité des professionnels du droit, et des tribunaux en général, à poursuivre ce type d’affaires. Voir : La lutte contre les violences sexuelles et sexistes au Liberia (en anglais), 2008. Des groupes ont recommandé au Liberia d’étendre ce tribunal à d’autres régions du pays afin que toute la population du pays puisse y avoir accès.

 

Protection des victimes et accès à la justice

La législation doit accorder aux juges le pouvoir de prendre des mesures pour protéger les victimes des actes de représailles ou d’intimidation, par exemple en prononçant des ordonnances de protection ou des injonctions d’éloignement contre les auteurs de violences familiales ou de crimes « d’honneur ». Elle doit ériger en infraction pénale le non-respect de l’une de ces ordonnances et autoriser les juges à prononcer une sanction pénale directe et immédiate. Elle doit prévoir un système d’enregistrement de ces ordonnances qui facilitera l’échange d’informations entre les tribunaux, la police, le parquet et les autres acteurs de la justice pénale.

La loi doit imposer aux tribunaux d’évaluer les procédures et structures nécessaires pour améliorer la sécurité des victimes et minimiser la possibilité pour les auteurs de violences d’intimider ou de harceler les victimes au tribunal. Il convient de prendre différentes mesures, par exemple :

  • mettre à la disposition de la victime une salle d’attente séparée ;
  • retarder le départ du défendeur pour qu’il ne puisse pas suivre ou attaquer la victime ;
  • faire raccompagner la victime à son moyen de transport par un employé du tribunal ;
  • utiliser un détecteur de métal ou des procédures de fouille pour empêcher l’introduction d’armes ou de substances dangereuses ;
  • prévoir qu’une ordonnance judiciaire soit systématiquement dressée pour avertir la victime avant la sortie de prison de son agresseur ;
  • placer l’agresseur sous surveillance électronique.

Voir : le chapitre La violence familiale.

Les tribunaux doivent prendre des mesures pour améliorer l’accès des victimes à la justice, par exemple en proposant des heures d’ouverture pour les urgences, différents lieux pour déposer des plaintes – par exemple des bureaux dans les services de police –, des services d’interprètes agréés et formés, un accès pour les personnes handicapées et des formulaires et listes de contrôle. Ils doivent mettre en place des systèmes qui permettent à une victime de témoigner lors de la procédure judiciaire d’une manière qui protège sa vie privée, qui assure la confidentialité, qui garantisse sa sécurité pendant et après les audiences, et qui ne constitue pas une seconde agression. Le refus de la victime de témoigner ne doit pas être considéré comme une infraction. Les tribunaux doivent aussi mettre à la disposition des victimes de crimes « d’honneur » des conseillers formés pouvant fournir aux victimes des services de défense et de soutien pendant la procédure judiciaire. Voir : Résolution adoptée par l’Assemblée générale : Mesures en matière de prévention du crime et de justice pénale pour éliminer la violence contre les femmes, doc. ONU A/RES/52/86, § 10 ; Texte révisé des stratégies et mesures concrètes types relatives à l’élimination de la violence contre les femmes dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale (en anglais), 2009, § 10.

Le législateur doit également « assurer la possibilité d’ester en justice à toutes les victimes de violences ainsi que, le cas échéant, aux organisations publiques ou privées de défense des victimes, dotées de la personnalité juridique, soit conjointement avec les victimes, soit à leur place » dans les affaires de crimes « d’honneur ». Voir : Conseil de l’Europe, Recommandation Rec(2002)5 du Comité des Ministres aux États membres sur la protection des femmes contre la violence, 2002, art. 38. La législation doit prévoir un système d’enregistrement ou autre pour les organisations qui souhaitent intervenir au nom des victimes de crimes « d’honneur », leur permettant d’acquérir la qualité juridique à le faire. En Turquie, l’article 237(1) du Code de procédure pénale prévoit que les victimes et les personnes physiques et morales auxquelles le délit a causé un préjudice sont habilitées à intervenir dans l’action publique pendant la phase d’accusation, mais cette disposition n’est pas appliquée : des ONG œuvrant en faveur des droits des femmes ayant demandé à intervenir au nom de victimes de crimes « d’honneur » ont vu leur demande refusée au motif qu’elles n’étaient pas directement concernées par le délit.