Dépénalisation de l’adultère et moyens de défense

Dernière modification: February 26, 2011

Ce contenu est disponible dans

Les options
Les options

Il est souhaitable d’abroger toute infraction pénale relative à l’adultère ou aux relations sexuelles extraconjugales entre adultes consentants. Voir : Bonnes pratiques législatives en matière de « pratiques néfastes » à l’égard des femmes (en anglais), Division de la promotion de la femme des Nations Unies, 26-29 mai 2009, p. 18. Souvent, ces lois sont discriminatoires envers les femmes dans leur formulation ou dans la pratique.

 

Exemple : en Haïti, un décret modifiant les infractions d’agression sexuelle et supprimant la discrimination contre les femmes a dépénalisé l’adultère.

 

 

Moyens de défense

Suppression de « l’honneur » comme moyen de défense

La loi ne doit pas autoriser que « l’honneur » puisse être utilisé comme moyen de défense pour des délits de violence contre des femmes ou des filles. Le législateur doit abroger toutes les dispositions pénales qui permettent d’invoquer « l’honneur » ou toute autre idéologie susceptible d’être interprétée comme liée à « l’honneur », telle que la moralité, la coutume ou l’éthique.

Légitime défense

Dans les dispositions relatives à la légitime défense, il convient de rechercher attentivement toute formulation vague laissant la possibilité d’interpréter une atteinte à « l’honneur » comme un préjudice. « Un acte dangereux ou injuste » est une expression vague, qui laisse le juge libre de décider si les dispositions sur la légitime défense s’appliquent aux crimes « d’honneur » ; par exemple, l’auteur d’une infraction pourrait prétendre que la conduite sexuelle de la victime constitue un acte injuste afin de justifier le crime « d’honneur ». Il doit être indiqué clairement dans la loi que les dispositions relatives à la légitime défense ne s’appliquent pas aux infractions commises pour défendre son « honneur », à l’adultère et au fémicide familial.

Le législateur doit s’assurer qu’aucune loi n’empêche les femmes et les filles d’invoquer la légitime défense. En Irak, par exemple, la loi interdit à une femme d’invoquer la légitime défense si elle a tué un homme qui l’avait attaquée après l’avoir trouvée en train de commettre un adultère. Voir : Usage de la violence par les femmes dans les relations intimes (en anglais), StopVAW.

Mariage entre le violeur et sa victime

Il convient d’abroger les dispositions qui permettent à un violeur d’échapper à la sanction s’il épouse sa victime. La loi doit interdire la pratique du mariage de l’auteur du délit et de sa victime comme réparation du délit. Voir : Bonnes pratiques législatives en matière de « pratiques néfastes » à l’égard des femmes (en anglais), Division de la promotion de la femme des Nations Unies, 26-29 mai 2009, p. 25.

 

 

Exemple : Code pénal brésilien, 2005, article 107. En 2005, le Brésil a abrogé une disposition qui exonérait de sanction l’agresseur s’il épousait sa victime dans les affaires de crimes « d’honneur ». Ces crimes incluaient le viol et « l’atentado violento ao pudor, dans lequel l’agresseur oblige la victime, par l’usage de la violence ou de menaces graves, à commettre un acte sexuel ». Voir : Silvia Pimentel et al, “The Legitimate Defense of Honour or Murder with Impunity? A Critical Study of Case Law and Legislation in Latin America” (Légitime défense ou meurtre en toute impunité ? Étude critique de la jurisprudence et de la législation en Amérique latine), “Honour”: Crimes, Paradigms, and Violence against Women, p. 252 (2005). La loi permettait aussi de réduire la peine prononcée dans certaines circonstances associées à des « atteintes aux coutumes » sans violence, si l’agresseur avait épousé un tiers et si la victime n’avait pas ouvert une enquête criminelle dans les 60 jours du mariage. Voir : ibidem, p. 252-53. 

 

 

Crimes passionnels et provocation

Lorsque la loi reconnaît le crime passionnel comme moyen de défense, elle doit indiquer clairement que cette défense ne comprend pas ou ne s’applique pas aux crimes « d’honneur », à l’adultère, aux violences familiales ou à l’homicide familial. Voir : Recommandation générale n° 19 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, § 24(r)(ii), recommandant l’adoption de lois supprimant la défense de « l’honneur » comme motif légitimant un acte de violence ou un meurtre commis contre un membre féminin de la famille ; Bonnes pratiques législatives en matière de « pratiques néfastes » à l’égard des femmes (en anglais), Division de la promotion de la femme des Nations Unies, 26-29 mai 2009, pp. 19-20.

Le crime passionnel et la provocation invoqués comme moyens de défense ont fréquemment des effets asymétriques discriminatoires envers les femmes. Bien que ces moyens de défense puissent utiliser une formulation neutre sur le plan du genre, les hommes en sont souvent les bénéficiaires. Dans les crimes « d’honneur » où le défendeur invoque le crime passionnel, les victimes sont souvent des femmes et des filles. En outre, l’exigence de preuves n’est pas aussi stricte pour les crimes passionnels, ce qui permet d’invoquer cet argument en défense même lorsque l’agresseur n’a pas été témoin de l’acte de provocation ou d’adultère. Ainsi, l’agresseur pourrait se fonder sur des accusations ou des suspicions et non pas sur des observations. Dans les cas où la preuve du flagrant délit est nécessaire pour invoquer « l’honneur » ou le crime passionnel en défense, des agresseurs ont réussi à s’en prévaloir, même quand le crime était prémédité. Le flou législatif, les mentalités discriminatoires, le pouvoir discrétionnaire des juges confèrent une grande latitude sur la question de savoir si un agresseur se trouvait encore sous l’emprise de la passion. Les États ont l’obligation d’abroger les lois pénales qui créent une discrimination à l’égard des femmes et, dans ce contexte, l’application de la loi entraîne une discrimination de fait envers les femmes et les filles.

 

 

 

 

ÉTUDE DE CAS : Code pénal brésilien, article 25. Au Brésil, comme dans beaucoup de pays, l’homicide n’est pas un crime s’il est commis en état de légitime défense. Toutefois, la manière dont la loi brésilienne sur la légitime défense a été appliquée et interprétée démontre comment un moyen de défense peut avoir un impact asymétrique et discriminatoire à l’égard des femmes. L’article 25 du Code pénal brésilien définit la légitime défense comme étant le fait pour une personne de réagir à « une violation injuste, présente ou imminente, de ses droits ou de ceux d’autrui ». Après l’adoption par le Brésil d’un amendement à son Code pénal destiné à limiter la possibilité pour les meurtriers d’invoquer la passion ou l’émotion dans les cas d’homicide conjugal (l’homicide « privilégié », à savoir commis sous le coup d’une émotion violente immédiatement après une provocation injuste de la victime, peut encore être invoqué pour diminuer la peine infligée au défendeur), des auteurs d’homicide ont réussi à faire valoir que la défense de « l’honneur » d’un homme constituait une légitime défense. En d’autres termes, un acte adultère ou similaire commis par une femme et ses effets sur l’honneur d’un homme (un « droit » fondamental) sont jugés équivalents à un acte physique « injuste » et « imminent » d’agression contre l’homme lui-même, ce qui légitime le meurtre de la femme.

 

Bien que les juridictions supérieures aient commencé à infirmer les acquittements fondés sur la défense de « l’honneur » à partir des années 50, et que la Cour suprême du Brésil ait expressément rejeté la défense de « l’honneur » en 1991 comme n’ayant aucun fondement dans le droit brésilien, elle a survécu dans les juridictions inférieures, en particulier en milieu rural, lorsque les affaires d’homicides sont jugées par des jurés (qui ont des préjugés sociaux) et que les juges disposent d’un grand pouvoir discrétionnaire. Dans le droit civil brésilien, les décisions des juridictions supérieures ne créent pas de précédents opposables aux juridictions inférieures, générant ainsi de nombreux conflits de jurisprudence au sujet de la défense de « l’honneur ». Par exemple, après la décision de la Cour suprême de 1991, la juridiction inférieure chargée de la même affaire a de nouveau acquitté le défendeur coupable d’un double meurtre, retenant l’argument de « l’honneur », le juge ayant déclaré que cet argument était « au cœur » de l’affaire. Voir : Human Rights Watch, Injustice pénale : les violences contre les femmes au Brésil (en anglais), 1991. Comme l’a noté un observateur : « Le recours à “l’honneur” comme argument de défense est révélateur de la persistance d’un conflit dans la culture brésilienne au sujet de la sexualité féminine, et dans les institutions au sujet de la place de l’honneur et du périmètre de la légitime défense ». Voir : Mala Htun, “Culture, Institutions, and Gender Inequality in Latin America” (Culture, institutions et inégalité des sexes en Amérique latine), Culture matters : how values shape human progress, p. 197 (2000). Il apparaît que ce moyen de défense a encore cours à ce jour dans les États intérieurs du pays. Voir : Law & Society Review, vol. 39, p. 315.

 

 

ÉTUDE DE CAS : en 2001, la Jordanie a amendé l’article 340, aux termes duquel un homme ayant tué ou battu son épouse ou une parente après l’avoir vue commettre un adultère pouvait invoquer « l’honneur » pour sa défense. Cependant, la loi amendée n’interdit pas au juge d’appliquer aux crimes « d’honneur » l’article 98 du Code pénal comme défense ou comme circonstance atténuante, article dont beaucoup affirment qu’il est plus important que l’article 340 dans les affaires de crimes « d’honneur ». L’article 98 permet d’obtenir une peine allégée (pouvant se limiter à six mois de prison, et dépassant rarement deux ans) lorsque le crime a été commis sous le coup de la colère à cause d’un acte injuste et dangereux de la victime. Selon une traduction, l’article 98 dit que « [l]’auteur d’un crime qui le commet sous l’emprise de la fureur suite à un acte répréhensible [ghair muhiq] ou dangereux de sa victime, bénéficie de circonstances atténuantes » (Code pénal jordanien de 1961, art. 98). Voir : Catherine Warrick, “The Vanishing Victim: Criminal Law and Gender in Jordan” (La victime escamotée : les femmes dans le droit pénal en Jordanie), Law & Society Review, vol. 39, p. 315 et 337 (2005). En 1964, la Cour de cassation jordanienne a statué que, si le défendeur ne satisfaisait pas strictement aux exigences de l’article 340 (notamment celle d’avoir été effectivement témoin de l’adultère allégué), le tribunal pouvait appliquer l’article 98 dans les affaires de crimes « d’honneur ». Voir : Penn State International Law Review, vol. 23, p. 251 et 276 (2004). Dans ce type d’affaires, et malgré le caractère prémédité de nombreux crimes « d’honneur », l’homme peut faire valoir que le fait de voir son « honneur » bafoué a déclenché une crise de fureur ayant entraîné les blessures ou le décès de la femme. Un certain nombre d’hommes ont ainsi pu échapper à l’accusation de meurtre, même quand ils avaient tué une femme sur un simple soupçon de comportement malséant. Même avant que l’article 340 soit amendé, la plupart des auteurs de crimes « d’honneur » avaient donc recours à l’article 98 pour échapper aux sanctions. Le législateur chargé de modifier ou de rédiger des textes législatifs doit passer au peigne fin les lois existantes pour vérifier que d’autres dispositions ne permettent pas de laisser les responsables impunis ou d’alléger les peines prononcées.

Aucun schéma clair n’apparaît dans l’application par la Cour de cassation jordanienne de l’article 98 aux crimes « d’honneur », et la Cour semble avoir une vision large de ce qui constitue un acte « répréhensible » ou « dangereux » de la part de la victime, notamment une grossesse. Voir : Kathryn Arnold, “Are the Perpetrators of Honor Killings Getting Away With Murder? Article 340 of the Jordanian Penal code Analyzed Under the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women” (Les crimes d’honneur : des assassinats impunis ? L’article 340 du Code pénal jordanien analysé à la lumière de la CEDAW), American University International Law Review, vol. 16, p. 1343 (2001). 

En 1975, la Cour de cassation a statué :

« Le fait que la loi ait prévu une réduction de la peine dans un cas particulier ne signifie pas que le juge ne puisse pas appliquer également les règles générales énoncées aux articles 97 et 98. Les règles générales sont appliquées lorsque les dispositions traitant de ces cas particuliers ne s’appliquent pas. L’adultère commis par la victime est un acte juridiquement significatif qui touche à l’honneur du défendeur ; c’est pourquoi ce n’est pas enfreindre la loi que de lui accorder une réduction de peine. »

(Voir : Cour de cassation pénale 19/68 494 (1968) (ayant statué qu’un meurtre, perpétré deux jours après que le défendeur eut appris que sa sœur se livrait à un adultère, avait été commis sous le coup de la fureur et n’était donc pas prémédité) ; voir aussi Cour de cassation pénale 58/73 849 (1973) (ayant jugé qu’un garçon qui avait tué sa sœur le lendemain était excusable selon le droit jordanien, le meurtre n’ayant pas été prémédité dans la mesure où, de l’avis de la Cour, le garçon n’avait pas eu le temps de « calmer sa colère »).)

(Voir : Kathryn Arnold, “Are the Perpetrators of Honor Killings Getting Away With Murder? Article 340 of the Jordanian Penal code Analyzed Under the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women” (Les crimes d’honneur : des assassinats impunis ? L’article 340 du Code pénal jordanien analysé à la lumière de la CEDAW), American University International Law Review, vol. 16, p. 1343 (2001))