Définition des crimes « d’honneur »

Dernière modification: February 26, 2011

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La loi doit reconnaître que les crimes « d’honneur » représentent une forme de violence à l’égard des femmes et des filles. Il est recommandé de donner une définition large des crimes « d’honneur ». Elle doit être suffisamment générale pour englober les violences commises au nom de « l’honneur » sous quelque forme que ce soit, telles que le meurtre, le suicide forcé, le viol, le viol en réunion, la torture, les coups et blessures, le test de virginité, l’enlèvement, le mariage forcé, l’éviction forcée, les brûlures domestiques prétendument accidentelles, les attaques à l’acide et les mutilations. Il est souhaitable de préciser que l’existence d’une liste détaillée ne peut être invoquée pour ne pas sanctionner un agissement absent de la liste.

 

Définition de « l’honneur »

Le législateur doit utiliser l’expression « prétendument d’honneur » ou utiliser le mot « honneur » entre guillemets afin de sous-entendre l’absence « d’honneur » dans ces crimes. Il doit être conscient qu’il est extrêmement délicat de définir les violences commises au nom de « l’honneur ». Les lois utilisant le terme « d’honneur » risquent de renforcer l’idée fausse et discriminatoire selon laquelle les femmes et les filles incarnent « l’honneur » des individus de sexe masculin et de la collectivité, et que des actes de violence contre les femmes peuvent être motivés par « l’honneur ». En outre, le fait d’utiliser ce terme masque les raisons politiques, sociales et économiques pouvant contribuer aux violences commises au nom de « l’honneur ». Toutefois, le législateur est invité à utiliser le terme « honneur », au lieu d’un terme plus ambigu ou restrictif tel que « coutume » ou « tradition » pour qualifier ces crimes commis contre des femmes et des filles, afin que les crimes « d’honneur » soient identifiés comme tels et que leurs auteurs ne puissent profiter de failles juridiques et échapper aux sanctions. La législation doit clairement indiquer qu’il n’y a aucun « honneur » ni aucune justification aux violences commises au nom de « l’honneur ».

 

ÉTUDE DE CAS : en Turquie, le Code pénal interdit les homicides avec circonstances aggravantes, qui comprennent les meurtres commis au nom de la « coutume » (art. 82(k)). Le fait de qualifier d’homicides avec circonstances aggravantes les crimes commis au nom de la coutume a créé une faille juridique pour les crimes « d’honneur ». Les auteurs de violences peuvent faire valoir que les crimes commis au nom de la coutume ou de la tradition sont limités à certains domaines ou sont perpétrés seulement par certains groupes, ce qui exclut les crimes « d’honneur » de cette définition. La Cour suprême chargée des affaires criminelles a interprété ainsi cette disposition, statuant que l’article applicable ne concernait que les crimes coutumiers, alors que le cas examiné était un crime « d’honneur » car il ne faisait pas intervenir une décision officielle de la famille. En outre, le terme « coutume » ne rend pas compte de la discrimination envers les femmes qui motive très souvent les crimes commis au nom de « l’honneur », et est ambigu. Voir : Leylâ Pervizat, Évolution de la législation turque sur les crimes d’honneur (en anglais), 11 mai 2009, doc. ONU EGM/GPLHP/2009/EP.02, p. 8. [PENAL CODE TO BE UPLOADED]. Toutefois, depuis janvier 2009, la Cour suprême chargée des affaires criminelles a estimé qu’une décision officielle de la famille n’était plus nécessaire pour que le délit constitue un crime coutumier. Le terme « coutume » n’en reste pas moins ambigu et ne rend pas compte de la discrimination envers les femmes qui motive très souvent les crimes commis au nom de « l’honneur ». Voir : Communication d’Asuman Aytekin Inceoglu, Université de Bilgi, à Rosalyn Park, 17 mai 2010 (archives The Advocates for Human Rights).

Toute définition de la violence commise au nom de « l’honneur » doit comporter trois éléments fondamentaux : 1) un pouvoir de contrôle sur la conduite d’une femme ; 2) la honte ressentie par un homme qui a perdu ce pouvoir de contrôle ; et 3) une pression de la collectivité ou de la famille qui contribue à aggraver cette honte ou à vouloir l’effacer. Voir : Nancy V. Baker et al., “Family Killing Fields: Honor Rationales in the Murder of Women” (Meurtres familiaux : analyse des questions d’honneur invoquées pour justifier des meurtres de femmes), Violence Against Women, 1999, vol. 5, p. 164-184. La législation doit décrire les crimes « d’honneur » comme des violences ayant pour origine un sentiment de préservation de « l’honneur » de la famille, s’exprimant à son tour dans un comportement de ses éléments féminins qui remet en cause le pouvoir de contrôle que les hommes ont sur ces éléments ; cette conception de « l’honneur » fait intervenir les rôles et attentes que l’idéologie traditionnelle affecte aux femmes dans les sphères sexuelle, familiale et sociale. Les comportements visés sont notamment : l’adultère, les relations sexuelles extraconjugales, les relations préconjugales avec ou sans rapports sexuels, le viol et la fréquentation d’une personne inacceptable pour la famille, le non-respect des restrictions imposées sur la tenue vestimentaire des femmes et des filles, les possibilités d’emploi ou d’études, le mode de vie ou la liberté de mouvement. Il convient d’être prudent sur le fait de donner une liste précise de types de comportements dans la définition de « l’honneur », car cela peut avoir pour résultat d’exonérer de sanctions certains agissements ne figurant pas dans la liste.

(Voir : Rapport sur la violence contre les femmes dans la famille, Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, 1999, E/CN.4/1999/68, § 18.)

EXEMPLE : il est possible de s’inspirer des instruments internationaux existants pour définir les crimes « d’honneur » :

  • Le crime « d’honneur » est défini comme étant un « crime qui a été justifié ou expliqué (voire atténué) par son instigateur comme une conséquence de la nécessité de défendre ou de protéger l’honneur de la famille ». Voir : Rapport de 2003 sur les crimes dits d’honneur, Rapporteuse de la Commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe, § 1.
  • Le meurtre « d’honneur » est défini comme étant le « meurtre d’une femme par un membre de la famille ou son partenaire suite à un scandale (réel ou supposé) sur la famille par un acte (un soupçon ou une allégation suffisent) commis par la femme ». Voir : Rapport de 2003 sur les crimes dits d’honneur, Rapporteuse de la Commission sur l’égalité des chances pour les femmes et les hommes du Conseil de l’Europe, § 10.
  • Le crime « d’honneur » est constitué par « toute forme de violence à l’encontre des femmes et des filles, au nom de traditionnels codes d’honneur […]. Dès lors que “l’honneur” de la famille est, selon cette dernière, en jeu et que la femme en subit les conséquences, l’on peut valablement parler de crime dit “d’honneur” ». Cette définition est plus large et rend compte de la dimension collective et communautaire qui excuse la violence commise au nom de « l’honneur ». Voir : Mémorandum de M. Austin, Rapporteur, L’urgence à combattre les crimes dits « d’honneur », Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 2009, § C.I.1.

 

ÉTUDE DE CAS : au Pakistan, le Code pénal (2005) définit le crime « d’honneur » à l’article 299(ii) : « un délit commis au nom ou sous le prétexte de l’honneur s’entend d’un délit commis au nom ou sous le prétexte de karo kari sivah kari ou d’autres coutumes ou pratiques similaires ». Karo kari et sivah kari font référence à la même coutume, appelée différemment selon les régions du pays. Karo kari signifie littéralement « homme noir femme noire » ; dans le Sind, l’expression est associée à la pratique consistant à qualifier une femme de kari et à la tuer pour avoir prétendument violé « l’honneur » de sa famille ; parfois, le karo ou « homme noir » est également tué. En qualifiant le meurtre de karo kari, le meurtrier peut s’attendre à être pardonné par les parents de la victime. Au Baloutchistan, cette coutume est appelée sivah kari ou simplement « femme noire ». La pratique du karo kari s’est étendue ces dernières années dans le pays pour déborder de son cadre original de coutume tribale baloutche et pachtoune, ce que la loi reconnaît en parlant « d’autres coutumes ou pratiques similaires ». Dans la province de la Frontière du Nord-Ouest, elle est appelée tor tora, et au Pendjab, kala kali. L’expression karo kari est communément utilisée au Pakistan comme raccourci pour parler d’un meurtre « d’honneur » avec préméditation. Définir les crimes « d’honneur » en faisant référence à ces coutumes très particulières pourrait permettre à des agissements ou comportements ne rentrant pas dans cette définition d’échapper aux poursuites. Voir : Amnesty International, Pakistan. Les violences commises contre les femmes au nom de l’honneur (en anglais), 1999 ; Rapport d’expert préparé par Shahnaz Bokhari, Bonnes pratiques législatives en matière de pratiques préjudiciables aux femmes au Pakistan (en anglais), Division de la promotion de la femme de l’Organisation des Nations Unies, mai 2009.

Il convient d’être prudent sur les formulations vagues qui pourraient permettre une interprétation associant les crimes « d’honneur » aux crimes passionnels ; l’accusé pourrait alors utiliser l’argument du crime passionnel pour se défendre. La législation doit indiquer clairement que les crimes commis au nom de « l’honneur » ne constituent pas, pour les besoins de la défense, des crimes passionnels ni des crimes commis sous l’emprise de la colère. Elle doit préciser que les crimes « d’honneur » sont des actes de violence à l’égard des femmes et des filles, et que les États sont tenus de prévenir et réprimer ces actes avec toute la diligence voulue.

Exemple: en n’établissant pas clairement une distinction entre les crimes « d’honneur » et les crimes passionnels, on risque de rencontrer des problèmes pour appliquer et faire respecter la loi. Par exemple, dans sa résolution 55/68, l’Assemblée générale des Nations Unies se déclare préoccupée par les violences commises contre les femmes, notamment « les crimes d’honneur » et « les crimes passionnels » (§ 1). Les problèmes potentiels sont apparus lorsqu’un représentant a demandé comment les États étaient supposés exercer toute la diligence voulue pour prévenir les crimes commis sous l’emprise de la colère. Quoi qu’il en soit, l’État doit exercer toute la diligence voulue concernant tous les actes de violence à l’égard des femmes et des filles.