Le secteur judiciaire, qui englobe les mécanismes de justice formels et informels, est essentiel pour l’application des lois et pour mettre un terme à l’impunité dont bénéficient les contrevenants.
Un système de justice efficace est important pour réduire et prévenir la violence à l’égard des femmes et des filles car :
- Il assure la protection des femmes contre les agresseurs actuels et potentiels par les amendements apportés à la législation discriminatoire et par l’application cohérente des lois et politiques appropriées.
- Il fait savoir à l’ensemble de la société que les autorités supérieures (à savoir les juges) sont attachées au respect des droits de la personne et à l’élimination de l’impunité lorsque ces droits sont violés.
- Les poursuites judiciaires mettent fin au sentiment de honte souvent ressenti par les survivantes, contribuent à leur rétablissement, constituent un dissuasif potentiel pour les contrevenants et encouragent les autres survivantes à porter plainte.
Stratégies:
- Saisir les possibilités de réforme du secteur de la justice pour institutionnaliser les réponses, procédures, formations et autres mesures appropriées alignées sur les normes des droits de la personne et les pratiques recommandées.
- Promouvoir la formation de tout le personnel associé aux processus judiciaires (juges, avocats, défenseurs publics, agents parajuridiques, procureurs, fournisseurs de services sociaux et bureaux de médiateurs), en travaillant en coopération avec les facultés de droit pour la formulation de programmes d’enseignement et d’outils et en fournissant des guides juridiques sur les lois relatives à la violence à l’égard des femmes et des filles. Les acteurs judiciaires devraient participer eux-mêmes à la production de ces outils et matériels.
- Améliorer les procédures d’audience et les processus juridiques pour tenir compte des sexospécificités et les axer sur les survivantes, en assurant par exemple des interrogations privées et séparées des survivantes et des auteurs des actes de violence, menées par des interviewers formés; en assurant le respect de la vie privée et en offrant des modalités alternatives de témoignages (par télévision en circuit fermé, par exemple); en garantissant des espaces sûrs et en offrant des garanties de sécurité aux survivantes avant, pendant et après les procédures judiciaires; et en assurant la protection des témoins.
- Permettre aux survivantes d’avoir accès gratuitement ou à moindre coût à des conseils juridiques et à des avocats, dans toute la mesure du possible, par le biais de partenariats avec des organisations de femmes, des organisations non gouvernementales et d’autres mécanismes. (Conseil de l’Europe, 2000)
- Tenir des réunions ou des ateliers périodiques avec les autres personnels clés, tels que les officiers de police et les prestataires de soins de santé ainsi qu’avec les ONG fournissant des services aux survivantes. Ceci aide le personnel de chaque secteur à comprendre quels sont ses rôles respectifs et ce qui est exigé de lui pour faire en sorte que les causes des survivantes soient entendues de manière coordonnée et efficace. Faire équipe avec des groupes de défenseurs des femmes, des groupes de survivantes et des groupes juridiques pour sensibiliser le personnel judiciaire (qui tend à être dominé par les hommes) aux besoins spécifiques et aux expériences vécues des survivantes.
- Permettre aux survivantes d’être accompagnées par des défenseurs des droits des victimes ou des organisations qui peuvent les aider à s’orienter dans le système juridique/judiciaire complexe et souvent intimidant et leur fournir des appuis tout au long du processus.
- Veiller à ce que les survivantes aient le droit de participer activement à toutes les phases de la procédure juridique et d’être informée du processus et du stade d’avancement de leur cause. (DAW et ONUDC. 2005)
- Assurer la disponibilité d’ordonnances de protection/d’interdiction de communiquer émises par le tribunal pour séparer les auteurs des actes de violence de la victime et des membres de sa famille s’il y a lieu, et veiller à ce que la police garantisse le respect de ces ordonnances.
- Mettre des programmes d’éducation juridique à la disposition des femmes et les filles afin qu’elles soient informées de leurs droits et des protections et recours juridiques dont elles disposent.
- Accroître l’accès des femmes aux postes de responsabilité du secteur de la justice formelle et informelle (à savoir parmi les avocats, les procureurs et les juges) en tant qu’objectif stratégique à long terme pour améliorer la sensibilité du pouvoir judiciaire aux sexospécificités.
- Travailler avec les systèmes de justice informelle (conseils traditionnels, tribunaux coutumiers et tribunaux de la famille) pour réduire l’impunité et accroître l’accès à la justice, tout en veillant à ce que ces systèmes soient alignés sur les normes internationales des droits de la personne en intervenant auprès des autorités de ces systèmes par la formation et la mobilisation de dirigeants locaux attachés au respect des droits et à l’accès à la justice pour les femmes.
- Établir des tribunaux spéciaux compétents en matière de violence à l’égard des femmes et des enfants. Les données disponibles indiquent que ces tribunaux peuvent avoir un impact positif à condition d’être dotés de ressources suffisantes, de protocoles de gestion des affaires et d’un personnel formé (Morisson, et al., 2004)
- Mettre en application des mécanismes de suivi, tels que des protecteurs des droits de la personne ou un suivi des affaires judiciaire exercé par la société civile, afin d’appuyer les réformes des systèmes de justice formelle et informelle en place (Morrison, et al., 2004)
- Promouvoir les mesures de niveau national, bilatéral et multilatéral pour la protection des droits des travailleurs migrants, des femmes victimes de la traite des personnes et des autres groupes de femmes exposées à des risques de violence sexuelle et d’exploitation sexuelle ou économique.
- Lorsqu’ils sont présents et offrent une voie de recours importante, obtenir la participation des juges de paix (tout particulièrement dans les zones rurales ou semi-urbaines) aux formations sur la violence à l’égard des femmes et sur les protocoles de réponse appropriée pour la gestion des affaires. Ceci est essentiel pour lutter contre tout préjugé personnel en matière de genre qui pourrait favoriser le recours à la médiation conjugale de préférence aux voies de recours juridiques formelles, médiation qui se traduit souvent par des injustices pour les femmes et les filles survivantes (par un rejet du blâme sur la victime et en privilégiant les attitudes traditionnellement féminines les amenant à pardonner et à se soumettre).
- Traiter dans les situations de justice transitionnelle la problématique de l’impunité des auteurs des actes de violence qui ont fait usage du viol, de l’agression sexuelle, de la grossesse forcée et d’autres crimes graves en tant que tactiques de guerre, et annuler les dispositions des accords de paix accordant une amnistie aux auteurs d’actes de violence à l’égard des femmes. (FRIDE, 2008)
Leçons à retenir
- Même lorsque des lois et des politiques appropriées sont en vigueur et que le système judiciaire est relativement accessible, des obstacles tenant au manque d’éducation, à l’analphabétisme, à la langue et au manque de mobilité font que beaucoup de femmes ne connaissent pas leurs droits ou les lois adoptées pour les protéger et elles hésitent à avoir recours à un système de justice qui leur paraît lointain et d’une grande complexité.
- Les hommes peuvent, pour leur part, ne pas se rendre compte que leurs comportements sont néfastes ou criminels et les dirigeants communautaires peuvent ne pas être au courant de leurs obligations juridiques.
- En outre, la crainte de violences supplémentaires, de la stigmatisation et de l’ostracisme, celle de perdre leurs enfants ou de se voir chassées de leur foyer peuvent empêcher les femmes de déclarer les actes de violence ou d’engager des actions en justice.
- Les préjugés stigmatisants de la part du personnel de justice fait également obstacle à l’accès des femmes à la justice. Les systèmes juridiques sont souvent mal équipés pour venir en aide aux victimes et pour enquêter sur les incidents de violence à l’égard des femmes, les documenter et engager des poursuites de manière satisfaisante. Les incidents restent, dans leur grande majorité, non déclarés et seul un petit pourcentage fait l’objet de poursuites et abouti à des condamnations.
- La formation des juges peut présenter des difficultés, en particulier dans les sociétés fortement hiérarchisées où, de fait de leur statut social, certains juges peuvent refuser d’y participer et être convaincus qu’ils n’ont plus rien à apprendre.
- Les ordonnances de protection/de non-communication sont importantes pour assurer la sécurité des femmes, mais leur impact peut rester limité, notamment lorsque les ressources sont rares, du fait de la sous dotation en personnel de la police, de l’insuffisance des formations, de la faiblesse du système judiciaire et des difficultés d’obtention des ordonnances. Leur application présente aussi des difficultés en l’absence de services communautaires complémentaires (refuges, logement, soutien économique ou social) pour les survivantes.
- Les femmes épuisent souvent toutes les voies de recours des systèmes informels avant de s’adresser à la justice formelle, ces systèmes étant plus accessibles, jouissant d’une légitimité sociale, résolvant les problèmes rapidement et à moindre coût, ainsi qu’en raison de l’absence de mécanisme formel au niveau local. (ICRW et UNFPA, 2009)
- Les spécialistes ne recommandent pas la médiation dans les cas de violence à l’égard des femmes, car elle suppose que les deux parties soient sur un pied d’égalité pour les négociations. Les femmes tendent à rester dans la relation, étant ainsi exposées à d’autres incidents de violence et sans recours effectif à la justice ou sans possibilités de se séparer du conjoint violent.
- Les tribunaux spéciaux compétents en matière de violence à l’égard des femmes présentent l’avantage de disposer d’un personnel spécialisé et d’offrir des services centralisés, mais ils peuvent également connaître des problèmes provenant d’un manque de coordination avec les tribunaux criminels. Ils peuvent aussi s’avérer coûteux pour l’État et leur concentration en milieu urbain présente des difficultés pour les populations rurales limitant ainsi l’accès de celles-ci à des services de justice équitables.
- Malgré le peu de données factuelles indiquant que l’incarcération seule réduit la prévalence des actes de violence, le secteur de la justice peut avoir un effet préventif lorsque les sanctions sont appliquées de manière cohérente (Counts, Brown and Campbell, 1999 cité dans in Morrison et al 2004).
- L’emploi accru de mesures non punitives, à savoir les réparations civiles telles que les soutiens financiers pour le logement, l’éducation des enfants ou les autres appuis économiques pour les survivantes tels que la formation professionnelle et le placement, peut être essentiel sinon indispensable pour permettre aux survivantes de quitter les situations de violence.
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Ressources:
Advocating for Women in the Criminal Justice System In Cases of Rape, Domestic Violence and Child Abuse (Women’s Justice Center, 2008). Disponible en anglais.
Responding to Domestic Violence: A Handbook for the Uganda Police Force (Center for Domestic Violence Prevention, 2007). Disponible en anglais.
Gender-Based Violence Legal Aid: A Participatory Toolkit (American Refugee Committee International, 2005). Disponible en anglais.
The Women's Legal Rights Initiative: Paralegal Manuals on Domestic Violence for Guatemala, Lesotho (USAID, 2006). Disponible en espagnol.
The Women's Legal Rights Initiative: Paralegal Manuals on Domestic Violence for Lesotho, (Federation of Women Lawyers/USAID, 2006) Disponible en anglais.
Justice, Change and Human Rights: International Research and Responses to Domestic Violence for Bulgaria, India, Mexico and Russia (USAID). Disponible en anglais.