Les changements juridiques à eux seuls, de même que dans une certaine mesure les changements politiques/institutionnels, se sont avérés insuffisants pour réduire la violence à l’égard des femmes et des filles. Nombreuses sont les formes de cette violence qui continuent d’être largement considérées comme des faits de peu d’importance ou des réalités normales de l’existence, qui relèvent de la vie privée. Les campagnes de modification de comportement visent à amener « les gens ordinaires » et les personnes occupant des postes d’autorité à modifier leurs connaissances, leurs attitudes et leur pratiques concernant la violence à l’égard des femmes. La modification de comportement peut contribuer à réduire la prévalence de ce phénomène (prévention primaire) et amener les survivantes d’actes de violence à l’égard des femmes à s’en protéger à l’avenir (prévention secondaire). [I added a hyperlink to secondary prevention – MC]
Il faut, pour encourager de tels changements, agir à la fois au niveau individuel et au niveau sociétal (VicHealth, 2005. Review of Communication Components of Social Marketing...). Étant donné que les processus psychologiques et sociaux qui induisent des modifications de comportement dépendent de multiples facteurs, différentes théories bien établies mettent l’accent sur différents aspects. On peut faire appel à la raison des gens (théories cognitives [en anglais] de manière à influer sur leur attitude par rapport à un certain comportement (théorie de l’action raisonnée) [en anglais], renforcer leur motivation et les opportunités de faire l’essai de différents types de comportement (théorie cognitive sociale)[en anglais] [Possible French link here – MC], ou mettre en évidence les risques associés à la violence à l’égard des femmes et souligner les avantages de son élimination (modèle de la croyance à la santé) [en anglais] [Possible French link here FOR ALL HYPERLINKS ABOVE – MC]. On peut guider les membres du public cible au cours d’un processus d’apprentissage (ou de « désapprentissage ») (théories des étapes de changement) [en anglais] et faire usage de l’influence d’autrui (théorie de l’influence sociale, de la comparaison sociale et de la convergence) [en anglais] pour encourager la modification de comportement. L’appel aux émotions (théorie des réponses affectives) [en anglais] occupe également une place centrale dans la modification des comportements. Enfin, la théorie de la communication rend compte des processus par lesquels une idée ou une pratique nouvelle est communiquée dans la société (ex. théorie de la diffusion de l’innovation), et de l’influence de certains aspects de la communication sur les comportements (ex. modèle de persuasion à entrées/sorties) (Coffman, 2002. Public Communication Campaign Evaluation [Évaluation des campagnes de communications publiques], et O’Sullivan et al., 2003. A Field Guide to Designing a Health Communication Strategy [Guide de terrain de la conception d’une stratégie de communications pour la santé]).
PRINCIPALES THÉORIES DE LA MODIFICATION DES COMPORTEMENTS (adapté d’après Coffman, 2002. Public Communication Campaign Evaluation, et O’Sullivan et al., 2003. A Field Guide to Designing a Health Communication Strategy)
1. La théorie de l’action rationnelle explique le comportement comme le résultat de l’intention de la personne de se comporter comme elle le fait. Cette intention est influencée par : i) l’attitude de la personne en question par rapport au comportement, ou ii) la croyance que les gens importants pour la personne pensent qu’elle devrait ou ne devrait pas avoir ce comportement. À l’évidence, les idées de la personne elle-même subissent l’influence de la société dans laquelle elle vit. (Ajzen and Fishbein, 1980. Understanding Attitudes and Predicting Social Behaviour)
2. La théorie cognitive sociale suggère que l’auto-efficacité — croyance de la part d’une personne qu’elle possède les capacités et aptitudes requises pour avoir un comportement donné — et la motivation sont nécessaires pour la modification de comportement. En d’autres termes, la personne doit croire qu’elle est capable d’avoir le comportement voulu dans diverses circonstances et y être incitée (incitatif positif ou négatif) (Bandura, A., 1992. Exercise of personal agency through the self-efficacy mechanism).
3. Le modèle de croyance à la santé retient deux facteurs qui influent sur les comportements protecteurs de la santé : i) le sentiment d’être personnellement menacé(e) par la maladie, et ii) la croyance que les avantages de l’adoption du comportement protecteur sont plus supérieurs aux coûts perçus.
4. Le modèle des étapes de changement voit en la modification de comportement un processus d’apprentissage séquentiel en cinq étapes (inaction, prise de conscience, préparation, action, consolidation). Selon ce modèle, il faut, pour amener les gens à modifier leur comportement, déterminer à quel stade ils se trouvent et formuler des interventions qui les porteront aux stades suivants (Prochaska, J. et al., 1992. In search of how people change: Applications to addictive behaviours).
5. La théorie de la diffusion des innovations rend compte du processus par lequel une idée nouvelle ou une pratique nouvelle sont communiquées dans la société et des facteurs qui influent sur les réactions et les activités des gens en ce qui concerne l’adoption d’idées nouvelles (Ryan and Gross, 1943).
6. Le modèle de persuasion à entrées/sorties met l’accent sur la classification hiérarchique des effets de la communication et prend en compte l’influence de certains aspects de celle-ci, tels que la structure, la source et la voie d’acheminement du message, ainsi que les caractéristiques du public sur les effets comportementaux obtenus (McGuire, 1969).
7. Les théories de l’influence sociale, de la comparaison sociale et de la convergence considèrent que la perception et le comportement des gens sont influencés par les opinions et le comportement d’autrui, en particulier lorsque le contexte est incertain (Festinger, 1954; Kincaid, 1987, 1988; Latane, 1981; Moscovici, 1976; Rogers and Kincaid, 1981; Suls, 1977).
8. Les théories des réactions affectives suggèrent que les messages qui provoquent une réaction affective ont davantage de chances d’inciter à une modification de comportement que ceux à faible contenu affectif (Clark, 1992; Zajonc, 1984; Zajonc, Murphy, and Inglehart, 1989).
Adapted from Coffman, 2002. Public Communication Campaign Evaluation, and O’Sullivan et al., 2003. A Field Guide to Designing a Health Communication Strategy.
L’avantage de l’application de l’une de ces théories (ou d’un amalgame de certaines d’entre elles) pour la conception d’une campagne est que l’on peut formuler une stratégie fondée sur un corpus de recherches établi. Toutefois, il n’y a là aucune garantie de réussite, étant donné que de multiples facteurs influant sur le comportement humain échappent au contrôle des intervenants de la campagne, et un suivi régulier des réactions des publics cibles et des effets de la campagne est donc d’une importance clé.
APPROCHES DE CAMPAGNES VISANT À LA MODIFICATION DE COMPORTEMENT
Parmi les approches communes aux campagnes de modification de comportement fondées sur les théories décrites ci-dessus, on pourra citer les suivantes :
- 1. Montrer que la violence à l’égard des femmes est un crime auquel il faut mettre un terme : Ce type de campagne très courant repose sur la théorie de l’action rationnelle. Il vise à influer sur le comportement en faisant comprendre aux auteurs des faits, aux survivantes et aux témoins de la violence à l’égard des femmes que cette violence est inacceptable, et en invitant les publics cibles à s’exprimer contre elle, à rechercher des appuis ou à la signaler aux autorités.
Exemple : Un exemple qui a été reproduit est celui de la Campagne Zéro tolérance, lancée en 1992 par le Conseil du district d’Édimbourg (Royaume-Uni) qui avait pour objectifs de sensibiliser aux manifestations, aux effets et à la portée de la violence à l’égard des femmes et des enfants, de démonter les idées préconçues et les mythes relatifs à cette violence, de montrer que ces actes de violence sont des infractions criminelles passibles de sanctions judiciaires, d’informer les victimes de leurs droits et de l’aide disponible et de démontrer la nécessité de mesures législatives efficaces. La recherche formative menée dans trois lycées locaux a permis de constater chez les jeunes de 12 à 16 ans un niveau élevé de tolérance de la violence à l’égard des femmes dans les ménages, la majorité des jeunes interrogés indiquant qu’ils auraient vraisemblablement recours à la violence dans leurs relations futures.
Zero Tolerance a formulé un principe stratégique encore largement utilisé, à savoir celui des domaines clés d’intervention pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes : prévention (des crimes de violence à l’égard des femmes), prestations (de services d’appui de qualité) et protection (juridique des femmes et des enfants).
(Source : Rosa Logar, citée dans EUROWRC, 2000. Prevention of Domestic Violence against Women – Good Practice Models [Prévention de la violence domestique envers les femmes – Modèles de bonnes pratiques])
2. Faire connaître aux survivantes d’actes de violence à l’égard des femmes les solutions disponibles et les encourager à agir : Cette approche, s’inspirant souvent du modèle de croyance à la santé et de la théorie cognitive sociale, est essentielle dans la prévention secondaire. Elle est généralement combinée avec la sensibilisation aux droits des femmes.
Exemple : La campagne Bursting the Bubble [Faire éclater la bulle] est une initiative du Domestic Violence Resource Centre of Victoria (Australie), service financé par l’État destiné aux personnes affectées par la violence domestique. La campagne a recours à l’internet pour atteindre les adolescent(e)s qui ont été témoins d’actes physiques de violence domestique envers leur mère ou leur belle-mère, ou qui ont subi des violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises par un parent ou un dispensateur de soins. Le site de la campagne, haut en couleurs, se présente comme destiné « à vous aider à déterminer ce qui est acceptable dans une famille et ce qui ne l’est pas » et offre des conseils aux adolescent(e)s sur ce qu’ils/elles peuvent faire pour se protéger et où trouver de l’aide. Quelque 72 % des participant(e)s à un sondage en ligne ont déclaré qu’ils/elles appliqueraient les conseils fournis sur le site web.
Une étude de cas complète est disponible dans Les e-campagnes, dans la section Communication de la campagne du présent module.
3. Montrer que la violence à l’égard des femmes affecte toute la société et qu’il faut y mettre un terme : Cette approche, s’inspirant elle aussi du modèle de la croyance à la santé, vise à encourager les gens qui considèrent qu’ils ne sont pas directement touchés par la violence à l’égard des femmes à reconnaître ce phénomène comme un problème à résoudre. Elle peut être une composante efficace des campagnes en faveur d’un changement politique/institutionnel.
Exemple : Dans plusieurs pays, des études ont été menées pour calculer le coût de la violence à l’égard des femmes pour l’économie nationale (voir par exemple pour l’Australie le rapport Report by the Australia National Council to Reduce Violence against Women and Children, 2009). Les constats de ces études peuvent être intégrés et avoir leur utilité dans ce type de campagne.
Pour des études analogues, voir la section Conséquences et coûts du module Éléments essentiels de la programmation sur le site du Centre virtuel de connaissances.
4. S’adresser aux auteurs des violences et les encourager à se réformer :
Exemple : Un exemple connu d’initiative efficace est celui de la campagne australienne Freedom from Fear [À l’abri de la peur], qui a réuni plusieurs approches et a mis en exergue le fait que la violence domestique est un crime, passible de sanctions juridiques, que la maltraitance de l’épouse a des répercussions néfastes sur les enfants et que les hommes enclins à la violence doivent faire l’objet d’un traitement spécialisé. Cette campagne repose sur le modèle de la croyance à la santé qui vise à influer sur les cibles en exposant les effets néfastes des comportements non souhaitables et en proposant des orientations pratiques sur la façon dont on peut éviter ces effets, au moyen, dans le cas présent, d’un traitement sociopsychologique. Au cours de 21 premiers mois de la campagne, la ligne téléphonique d’aide en cas de violence domestique a reçu plus de 6 000 appels, la majorité (64 %) provenant d’hommes qui souhaitaient se faire soigner pour mettre un terme à leur comportement violent.
(Source : Gibbons & Paterson, 2000. Freedom from Fear. Campaign against Domestic Violence: An innovative Approach to Reducing Crime [À l’abri de la peur. Campagne contre la violence domestique : une approche novatrice de la réduction du crime]).
5. Rendre attractifs et profitables les changements visant à l’élimination de la violence à l’égard des femmes : Le marketing social, fondé sur la théorie de l’action rationnelle, vise à convaincre les membres de son public cible que l’adoption d’un comportement donné est bon pour eux et pour leur société. On y a eu largement recours dans les campagnes en faveur de la planification familiale, de la lutte contre le VIH/sida et de la résolution d’autres problèmes liés à la santé. Le marketing social est considéré comme un outil particulièrement efficace pour diffuser les messages (OMS, 2009. Promoting Gender Equality to Prevent Violence against Women [Promotion de l’égalité des sexes pour prévenir la violence à l’égard des femmes]).
6. Fournir des modèles afin d’inciter les publics cibles à agir pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes : Cette approche peut reposer sur toutes les théories décrites ci-dessus.
7. Guider le public cible au long d’un processus de développement personnel : Une approche de campagne relativement complexe dans le domaine de la lutte contre la violence à l’égard des femmes consiste à déclencher et à appuyer des processus de développement personnel chez les publics cibles, pour les amener à « désapprendre » leurs comportements néfastes au cours d’une période prolongée. Ces campagnes exigent que l’on recoure à un mix de communications de masse et de contacts individualisés.
Exemple : La campagne Raising Voices figure parmi les pionnières de cette approche. Elle s’inspire de la théorie des étapes de changement, qui décrit les principales phases des processus d’apprentissage individuels liés à la modification du comportement. Raising Voices mobilise les collectivités pour obtenir des individus et des institutions l’engagement de mettre fin à la violence à l’égard des femmes. De nombreuses ressources d’un emploi facile, guides détaillés, manuels de formation et matériels audiovisuels, sont disponibles sur son site web.