- Ceux qui travaillent à la mise en œuvre d’initiatives de plaidoyer doivent tout d’abord définir en quoi consisterait une action réussie dans leur propre domaine. Pour une ONG axée sur la traite des femmes et des filles à des fins sexuelles, la réussite pourrait être, la première année, d’obtenir une prise de conscience du législateur sur la nécessité de trouver des hébergements pour les victimes ; plus tard la réussite sera de faire voter une loi faisant obligation à l’État d’allouer des financements pour ces mêmes logements.
ETUDE DE CAS : en 2009, The Advocates for Human Rights et le Groupe de travail du Minnesota sur la traite des êtres humains (en anglais) ont œuvré ensemble au renforcement de la législation de l’État sur la traite des êtres humains. La coalition avait d’abord pour objectif d’améliorer la réponse de l’État, notamment par un alourdissement des peines, la fourniture de services et d’une assistance aux victimes, la formation des personnels chargés des affaires de traite et une sensibilisation de l’opinion publique. Mais alors que les pourparlers s’engageaient avec les membres du parlement et leurs alliés, il fut décidé en 2009 d’axer l’action sur un seul aspect de l’amélioration de la réponse de l’État, et d’attendre des sessions parlementaires ultérieures pour avancer sur le reste du programme.
En 2007, l’association The Advocates for Human Rights (ci-après appelé The Advocates) a été désignée par le Bureau des programmes relatifs à la justice du Département de la sécurité publique du Minnesota pour diriger une étude des besoins dans le domaine de la lutte contre la traite d’êtres humains à des fins sexuelles. L’évaluation, demandée par le Groupe de travail du Minnesota sur la traite des êtres humains (en anglais), a été réalisée en appliquant les techniques d’investigation et de recherche de preuves en matière de droits de l’homme élaborées par The Advocates au sein des instances internationales et en les adaptant au niveau local afin de repérer les services mis à la disposition des victimes en quête de sécurité et d’assistance et les obstacles qu’elles rencontraient dans cette quête.
Publié en septembre 2008, le rapport d’Évaluation des besoins du Minnesota face à la traite à des fins sexuelles (en anglais) examine la réponse des autorités à divers niveaux : local, étatique, tribal et fédéral. Il énumère les services et équipements dont peuvent disposer les victimes de la traite dans le Minnesota, évalue leur efficacité, et fait des recommandations au niveau de la coordination des services pour mieux satisfaire les besoins des victimes dans l’ensemble de l’État. L’une des conclusions les plus importantes du rapport est que, au niveau de l’État, les trafiquants et proxénètes sont condamnés à des peines relativement faibles comparées à celles encourues pour d’autres crimes, et ces peines ne peuvent pas être alourdies en cas de récidive. The Advocates a donc recommandé au législateur de modifier la loi de l’État pour que les peines encourues pour la traite à des fins sexuelles soient proportionnelles à celles encourues pour d’autres crimes contre la personne. Il a été recommandé également que la loi soit modifiée pour permettre une majoration de la peine.
Afin d’organiser le suivi de ces recommandations, The Advocates a également travaillé avec le Groupe de travail du Minnesota sur la traite des êtres humains (en anglais) à la rédaction de projets de loi prévoyant des peines plus lourdes. Elle s’est penchée sur les services et l’assistance aux victimes, sur la garantie d’accès aux prestations sociales publiques et sur l’élaboration de programmes de formation et de sensibilisation de l’opinion, lesquels ont été présentés comme un tout au législateur. Avant de soumettre les projets de loi, The Advocates s’était préoccupée du climat parlementaire, de la crise fiscale, des priorités et des compromis passés avec leurs alliés ainsi qu’avec les membres du parlement qui devaient déposer le projet. Tenant compte de tous ces facteurs, la coalition a décidé de donner la priorité au vote sur l’aggravation des peines pénales, tout en demandant que soient organisées des audiences publiques sur l’ensemble du projet. Il s’agissait de sensibiliser le législateur à la nécessité d’une approche globale de la lutte contre la traite des êtres humains par des mesures destinées à renforcer les actions judiciaires, à améliorer la protection des victimes et à juguler la traite par le biais d’une sensibilisation de l’opinion. Mais le groupe savait que les membres du parlement ne pourraient pas oublier le déficit budgétaire et il fut décidé de laisser provisoirement de côté la partie des projets de loi prévoyant la création de services d’aide aux victimes, l’accès pour celles-ci aux prestations sociales publiques et la création de programmes de formation et de sensibilisation. Le groupe a consulté les forces de l’ordre, les procureurs et les prestataires de services et les a fait participer à la rédaction des textes pour s’assurer que celui-ci tiendrait compte de leurs propres problèmes et inquiétudes. Le groupe a également demandé l’aide de juristes travaillant au sein de l’assemblée législative du Minnesota et compétents dans la rédaction de lois.
Une fois les projets de loi présentés, la coalition a été entendue lors de huit audiences de divers comités de la Chambre des représentants et du Sénat du Minnesota. Destinée aux législateurs et autres personnes intéressées par les projets de loi, une documentation avait été préparée qui traitait notamment de la nécessité d’une législation et des solutions proposées. The Advocates avait coordonné les déclarations et confirmé la participation de plusieurs témoins clés avant les audiences. Ensemble, ils s’étaient préparés à de possibles objections et s’étaient exercés à y répondre. The Advocates avait également préparé des phrases types que le public pouvait utiliser pour demander aux élus de soutenir le projet de législation et avait envoyé ces informations à ses militants et aux membres de la coalition pour qu’ils les distribuent. Après chaque audience, The Advocates informait ses militants et les membres de la coalition des résultats obtenus et du contenu de l’étape suivante. La loi prévoyant un renforcement des peines pénales a été adoptée à l’unanimité et le gouverneur l’a signée le 21 mai 2009.
Les modifications sont entrées en vigueur le 1er août 2009. Elles devaient permettre aux forces de l’ordre et aux procureurs de mieux sanctionner les auteurs de ces violations graves des droits de la personne. Plus précisément, elles doivent :
- fournir aux forces de l’ordre les moyens de procéder à l’arrestation des trafiquants du sexe et aux procureurs la possibilité de les poursuivre et de requérir des peines plus lourdes lorsqu’il y a eu répétition de l’infraction, lorsque des blessures ont été infligées, lorsqu’une personne aura été séquestrée plus de 180 jours, ou lorsqu’il y a plusieurs victimes,
- augmenter les amendes pour ceux qui vendent des êtres humains à des fins sexuelles,
- pénaliser les actes de ceux qui profitent de la traite,
- faire entrer le trafic sexuel dans la catégorie des « crimes violents » afin que ceux qui vendent d’autres êtres humains à des fins sexuelles soient interdits de port d’armes,
- assimiler les victimes de la traite aux victimes de « crimes violents » afin qu’elles soient protégées contre les représailles lorsqu’elles collaborent à une procédure criminelle visant les trafiquants.
Au cours du processus d’adoption des modifications, The Advocates a appris que pour que les nouvelles peines puissent s’appliquer, il fallait que soient également modifiés les principes directeurs régissant les condamnations. La Commission des principes directeurs des condamnations du Minnesota était chargée de formuler une recommandation pour que les nouvelles dispositions pénales soient intégrées dans ces principes. La coalition a participé aux travaux de la Commission devant laquelle elle a témoigné au cours de plusieurs réunions entre juillet et décembre 2009. La Commission a transmis ses recommandations finales à l’assemblée législative du Minnesota en janvier 2010, qui les a examinées en février 2010.
L’analyse des failles dans l’attitude de l’État face au trafic sexuel dans le Minnesota a débuté en 2007, deux ans après le vote de la première loi de cet État sur la traite des êtres humains. Le vote de la loi pénale renforcée est une étape du processus d’amélioration des actions de l’État. D’autres améliorations seront nécessaires, plus particulièrement dans les domaines du financement des services aux victimes, de la formation et de la sensibilisation. Malgré ces lacunes, la loi du Minnesota en matière de traite des êtres humains est considérée par le Projet Polaris comme l’une des meilleurs des États-Unis. Voir : Les dix meilleures et les dix pires lois sur la traite des personnes (en anglais), Polaris Project, 2009.