Les protections constitutionnelles et juridiques qui obligent les mécanismes du secteur informel à protéger les droits fondamentaux sont importantes car elles offrent aux femmes et aux filles une voie pour contester les pratiques du secteur informel devant les tribunaux officiels. Le sujet des litiges stratégiques est examiné en détail ailleurs dans ce module. Les affaires qui suivent offrent des exemples de litiges qui ont entraîné des changements dans les pratiques de la justice informelle. Les affaires ci-dessous portent sur les droits à la propriété et à la succession. La succession à la suite du décès d’un membre masculin de la famille déclenche souvent la violence sous la forme de maltraitance des veuves ou autres formes de violence visant à contraindre les femmes de renoncer aux biens. Les pertes matérielles exposent également les femmes à la violence car elles ne peuvent plus avoir accès à leurs propres moyens de subsistance si elles sont privées du droit de succession ou d’autres formes d’héritage.
- Bhe contre Magistrat (Afrique du Sud 2004)
L’arrêt rendu dans l’affaire Bhe regroupait trois dossiers connexes dans lesquels des femmes et des filles avaient été privées du droit d’hériter des membres masculins de leurs familles en vertu du droit coutumier, qui avait été codifié dans la législation sud-africaine. La règle de promogéniture et l’article 23 du Black Administration Act stipulaient en effet que la maison d’un homme décédé appartenait au parent le plus proche de sexe masculin. La Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelle la règle de la promogéniture du droit coutumier africain et invalidé l’ensemble du cadre législatif régissant les successions non testamentaires de Sud-africains noirs décédés. La Cour a affirmé que l’article 23 de cette loi était anachronique car il figeait le droit coutumier “officiel” et portait un grave préjudice aux droits des Africains noirs par rapport aux Africains blancs. S’agissant de la règle de promogéniture masculine du droit coutumier, la Cour a considéré qu’elle discriminait injustement les femmes et les enfants illégitimes pour cause de race, de sexe et de naissance. La Cour a jugé que la règle du droit coutumier contrevenait à la Constitution sud-africaine et aux dispositions de la CEDAW. Il en résulte que l’administration de tous les biens de personnes décédées est désormais régie, jusqu’à l’adoption d’une nouvelle législation, par la Intestate Succession Act 81 (loi sur les successions ab intestat 81) de 1987, qui reconnaît le droit d’hériter des veuves et des enfants, quels que soient leur sexe ou légitimité. La Cour a également rendu des ordonnances concernant la répartition des biens de personnes décédées qui ont été dans un mariage polygame et dont plus d’une épouse a survécu.
- Le cas swara au Pakistan (2006)
Deux soeurs vivant dans les zones tribales du Pakistan ont fait appel en 2006 de la décision d’une jirga (assemblée) tribale de résoudre un contentieux en conformité avec l’ancienne coutume traditionnelle du swara. Le swara est la pratique selon laquelle des jeunes filles sont forcées au mariage comme récompense pour la résolution de querelles de sang opposant différentes communautés au Pakistan. La Haute Cour du Pakistan a considéré que la décision de la jirga tribale d’imposer le swara était illégale et constituait une atteinte aux droits humains.
- Mojekwu contre Ejikeme (Nigéria, 1999)
Au Nigéria, la coutume Nrachi permettait aux femmes d’hériter les biens de leur père, à condition toutefois de se soumettre aux dispositions qu’elle prévoyait, à savoir ne jamais se marier et élever des héritiers masculins pour leur père. La Division d’Enugu de la Cour d’appel nigériane a jugé que cette coutume, qui vise à opprimer les femmes et compromet les principes fondamentaux de la vie familiale, était inéquitable et inapplicable judiciairement. La Cour a considéré qu’une enfant a généralement le droit d’hériter les biens de son père décédé et qu’elle ne doit pas exécuter une cérémonie traditionnelle comme la Nrachi pour exercer ce droit.
- Rono contre Rono (Kenya 2005)
Au Kenya, un homme est décédé sans testament, laissant deux épouses. Le ménage de la première conjointe se composait de trois fils et deux filles, alors que le ménage de la deuxième conjointe comprenait quatre filles. La Haute Cour a octroyé une plus grande part de la succession au ménage qui comptait des garçons au motif que les filles se marieraient un jour et recevraient des biens de leurs nouvelles familles, décision fondée sur la tradition. S’inspirant des dispositions non-discriminatoires des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Kenya, la Cour d’appel a cassé la décision de la Haute Cour, considérant que la répartition inégale de la succession contrevenait à l’interdiction constitutionnelle de discrimination fondée sur le sexe.