Le suivi permanent de l’application des droits de l’homme (voir de plus amples renseignements sur la question dans Législation: Section Suivi des lois de ce site web) peut souvent servir de base à identifier les affaires qu’il convient de porter en justice dans le cadre d’une stratégie globale de réforme du secteur juridique - procédure connue comme litige stratégique, appelé aussi litige d’impact ou litige d’intérêt public. Le litige stratégique utilise le secteur judiciaire pour obtenir des changements juridiques et sociaux à partir de cas d’essai. Le litige stratégique est parfois appelé aussi litige d’impact parce qu’il cherche à exercer un impact au-delà de l’issue effective d’une affaire. Contrairement à la fourniture de services juridiques, les objectifs du litige stratégique transcendent la défense des intérêts du client individuel. Même la probabilité d’être déboutées ne dissuadera pas certaines organisations d’engager ce type d’action dans le cadre d’une campagne plus vaste sur les droits de l’homme. Le litige stratégique peut être utilisée pour:
- Changer la législation ou les politiques qui contreviennent à la constitution ou aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.
- Identifier les disparités entre les normes juridiques nationales et les normes internationales relatives aux droits de l’homme.
- Faire en sorte que la législation soit interprétée et appliquée correctement. (Rekosh, 2003)
Le litige stratégique peut être mené dans tout forum judiciaire, qu’il s’agisse de tribunaux locaux ou nationaux, ou devant des organismes judiciaires ou quasi-judiciaires internationaux. Le litige stratégique est un moyen utilisé depuis de nombreuses années pour faire avancer les droits civils et politiques, les droits de la femme, les droits des peuples autochtones et d’autres minorités, les droits des détenus, les droits des enfants, les droits au logement et de nombreux autres droits fondamentaux.
Avantages potentiels du litige stratégique
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Obtenir le résultat escompté pour un client ou un groupe de clients
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Créer un précédent majeur
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Obtenir un changement pour des personnes en situation analogue
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Susciter des changements politiques majeurs
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Autonomiser les clients
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Accroître la sensibilisation
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Promouvoir le débat public
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Souligner le manque d’indépendance judiciaire ou d’équité sur une question donnée
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Offrir une tribune officielle d’expression sur des questions que les autorités ne souhaiteraient pas voir abordées.
Risques potentiels du litige stratégique
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Imposer un fardeau indu pour le client
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Répercussions politiques
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Compromettre la sécurité du client, en particulier les groupes marginalisés
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Favoriser les objectifs politiques ou stratégiques aux dépens des objectifs individuels
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Créer un mauvais précédent
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Affaiblir le système judiciaire en soulignant son manque d’indépendance ou de pouvoir sur une question donnée
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Engager des ressources précieuses dans une affaire qui risque d’être difficile à gagner
À quel moment les praticiens du droit devraient envisager de recourir au litige stratégique?
Un litige stratégique efficace nécessite une bonne convergence de plusieurs variables au bon moment. Le litige stratégique est bien plus qu’une simple action en justice - c’est toute une stratégie qui implique l’évaluation des caractéristiques du client, des procédures judiciaires, de l’intérêt médiatique, des partenariats avec d’autres groupes, de la jurisprudence relative à l’affaire à l’examen et d’autres affaires similaires, des frais de justice, d’un calendrier judiciaire et d’autres variables. Ci-après certaines questions clés à examiner avant d’engager un litige stratégique:
- Y a-t-il un point du droit qui illustre ou concerne un problème social ou sociétal plus vaste?
- Est-ce qu’une décision de justice peut régler le problème?
- Est-ce que la cause que vous défendez et l’enjeu principal de l’affaire sont faciles à comprendre pour les médias et le grand public?
- Que recherche le client et comment l’avocat peut-il l’aider à mieux cerner son objectif ou ses objectifs?
- Quel est le niveau d’engagement du client à poursuivre ses objectifs?
- Outre l’action en justice, y a-t-il d’autres moyens pour atteindre l’objectif ou les objectifs du client?
- Est-ce que ces moyens sont-ils plus ou moins susceptibles d’être efficaces?
- Quels sont les points forts et les points faibles du dossier du client? Les points forts et les points faibles de la position légale de la partie adverse? Quelles sont les demandes en justice et quel est leur bien-fondé sur le plan juridique et dans l’opinion publique?
- Qui est la partie adverse et quel est son niveau d’engagement? De quels soutiens bénéficie-t-elle?
- Quelles autres parties s’intéressent à l’affaire et quels sont ces intérêts? Appuyent-ils la position du client?
- Les parties intéressées seraient-elles disposées à oeuvrer à la recherche d’une solution? Y a-t-il d’autres acteurs moins motivés qui disposés à apporter leur soutien?
- Est-il difficile d’établir le bien-fondé de l’affaire? À quel prix?
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Existe-t-il une autre solution ou compromis de nature à satisfaire les deux parties? La recherche d’autres solutions est-elle envisageable?
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Est-ce que le tribunal se montrerait favorable à une telle démarche?
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Quelles seraient les répercussions politiques d’une décision de justice favorable ou défavorable?
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La doctrine juridique est-elle claire et simple, et le recours facile à exécuter?
Questions tirées de: Wilson, et Rasmussen, Promoting justice: A Practical Guide to Strategic Human Rights Lawyering,2001, at 61-62; Geary, Children’s Rights: A Guide to Strategic Litigation, 2009, at 8.
Inde et Bangladesh: litige historique d’intérêt public
En 1997, un groupe de militants et d’ONG indiennes ont intenté une action collective faisant valoir que le harcèlement sexuel répandu des femmes sur le lieu de travail contrevenait à plusieurs dispositions de la Constitution du pays. Plus précisément, l’action en justice alléguait que le harcèlement sexuel portait atteinte au droit à l’égalité des sexes, au droit à la vie et à la liberté, et au droit d’exercer une profession, un métier ou une occupation. La plainte a été déposée à la suite d’un viol collectif brutal d’une assistante sociale au Rajasthan. Le tribunal a fait remarquer que la législation indienne n’offrait pas des garanties suffisantes aux travailleuses et que le tribunal avait le devoir de “remplir le vide législatif”. Voir: Vishaka and Others v. State of Rajasthan. para. 3.
Dans son arrêt, le tribunal a affirmé que l’égalité des sexes inclut la protection contre le harcèlement sexuel et le droit au travail avec dignité, qui est un droit fondamental universellement reconnu (Vishaka, para. 10). Le tribunal a explicitement fait référence à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, réaffirmant la ratification de la CEDAW par le Gouvernement indien et ses engagements sur les droits de la femme pris à la Quatrième Conférence mondiale sur les femmes de Beijing.
L’affaire Vishaka a connu de vastes implications en Inde et au-delà. Plusieurs affaires portées devant les tribunaux indiens ont donné lieu à une interprétation approfondie de Vishaka. Par ailleurs, une coalition d’ONG du Bangladesh a déposé en 2008 une requête similaire à celle présentée parVishaka alléguant que le harcèlement sexuel contrevenait à la Constitution du Bangladesh (Bangladesh National Women Lawyers Association v. Gov. of Bangladesh). Suivant essentiellement le raisonnement exposé dans l’arrêt Vishaka et citant entre autres la Cour suprême de l’Inde, la Cour suprême du Bangladesh a formulé des lignes directrices ayant force de loi, analogues à celles formulées dans l’affaireVishaka.
Considérations éthiques du litige stratégique
L’un des traits caractéristiques du litige stratégique est que les objectifs politiques plus vastes qui le motivent transcendent généralement les intérêts du client individuel. Cela pose de sérieux problèmes éthiques qui doivent faire l’objet d’un examen minutieux et d’une discussion approfondie très tôt avec le client. Voici plusieurs questions cruciales qu’il convient d’explorer, surtout si l’action en justice est poursuivie malgré le risque d’une issue défavorable pour le client:
- Est-ce que l’avocat devrait encourager le client à poursuivre l’action même si les chances de succès sont faibles?
- Est-ce que, le cas échéant, le client est disposé à engager une longue procédure d’appel?
- Est-ce que les ressources financières sont suffisantes pour mener l’affaire à son terme?
- Est-il possible de saisir un organe régional des droits de l’homme?
- Si le tribunal saisi risque de se montrer hostile, est-il possible de porter l’affaire ailleurs?
- Est-ce que la perspective d’avantages secondaires d’un échec compense le fardeau du litige supporté par le client?
- Quelle contribution juridique supplémentaire peut-on apporter à l’affaire? Est-elle de nature à compromettre l’action en justice ? Peut-elle provoquer un changement durable de la situation?
- Est-ce que l’avocat doit expliquer la stratégie globale au client, quelles qu’en soient les conséquences pour l’affaire? Est-il éthique d“omettre d’informer” le client d’une raison secondaire pour l’application de la stratégie? Existe-t-il une bonne raison pour ne pas informer le client de la stratégie?
(Wilson&Rasmussen, 2001).
Stratégie d’appui au litige stratégique
- Développer la capacité des avocats de porter les affaires d’intérêt public devant les forums nationaux, régionaux et internationaux.
- Offrir une formation sur les normes et la jurisprudence internationales relatives aux droits de l’homme.
- Apporter l’expertise juridique nécessaire aux ONG pour engager des actions en justice importantes en vue de promouvoir les droits des femmes. Par exemple, la Zimbabwe Women Lawyers Association (Association des avocates du Zimbabwe) poursuit des affaires pilotes pour s’assurer que la législation est appliquée dans le respect des droits des femmes. Voir Initiative programmatique ZWLA
- Appuyer les rapports officieux des ONG sur la CEDAW.
Outils:
NGO Participation at CEDAW sessions (Comité Asie-Pacifique d’action pour la promotion de la femme) offre des indications détaillées sur la manière de présenter un rapport officieux à la commission de la CEDAW, par une organisation non-gouvernementale qui distribue des rapports officieux aux experts de la CEDAW en prévision de la session. Disponible en anglais.
Travailler avec le programme des Nations Unies pour les droits de l’homme: un manuel pour la société civile (Nations Unies, Haut Commissariat aux droits de l’homme, 2008). Disponible en arabe, anglais, chinois, espagnol, français et russe.