Les enquêteurs devraient inclure dans leur rapport une brève conclusion, reposant sur leurs constats, concernant les actions positives et négatives de l’État et des diverses parties prenantes dans la mise en œuvre de la législation. La conclusion devrait aussi contenir un sommaire des recommandations. Voir par exemple : Législation sur la violence domestique et son application : Analyse des pays de l’ASEAN sur la base des normes et bonnes pratiques internationales (2009) (en anglais) (p. 31-34).
Recommandations
- Les enquêteurs devraient utiliser les constats du rapport de suivi pour élaborer des recommandations à l’adresse des principales parties prenantes, recommandations sur lesquelles pourront s’appuyer les futures campagnes de plaidoyer. Voir : section of this Knowledge Module on Advocating for New Laws or the Reform of Existing Laws on Violence against Women and Girls Par exemple, dans la Mise en œuvre de la loi bulgare sur la protection contre la violence domestique (2008) (en anglais), les auteurs ont adressé des Recommandations prioritaires au Gouvernement bulgare, notamment au ministère de l’Intérieur et au ministère de la Justice, ainsi que des recommandations spécifiques au Parlement, à la police, au parquet, à la société civile et aux médias (p. 51-53).
- Dans Violence domestique au Brésil : Examen des obstacles et des approches de promotion de la réforme législative (2010) (en anglais), l’auteur a recommandé l’octroi de moyens financiers suffisants et une réforme dy système éducatif afin que puisse être appliquée la loi brésilienne sur la violence domestique (p. 97).
- Les auteurs de l’Évaluation de la législation de la République d’Arménie dans la perspective de la violence sexiste (2010) (en anglais) ont étudié de nombreuses lois civiles et pénales arméniennes, y ont découvert des carences et ont émis pour chacune d’elles des recommandations particulières. Ils ont conclu qu’une réponse appropriée à la violence sexiste exige l’adoption de lois détaillées dans les domaines du logement, de l’enfance, de la santé, de l’emploi, de l’immigration, de la garde des enfants et des droits de visite, du mariage, des prestations sociales, de la possession d’armes à feu et des foyers d’accueil. Les auteurs ont également relevé la nécessité de lois nouvelles et d’amendement des lois en vigueur non incluses dans l’étude de suivi et d’évaluation.
- Les enquêteurs devraient aussi proposer des amendements aux lois en vigueur ou l’adoption de lois nouvelles afin de lutter contre des pratiques nouvelles ou qui n’ont pas encore été abordées. Voir : Manuel de législation de l’ONU, 3.1.6.
- Par exemple, après la publication de l’Évaluation de la législation de la République d’Arménie dans la perspective de la violence sexiste (2010) (en anglais), il a été formé plusieurs groupes de discussion qui rassemblaient des représentants de l’État arménien, de l’Assemblée nationale, de la société civile et d’ONG internationales, afin d’étudier les recommandations du rapport du point de vue des praticiens et de discuter de stratégies possibles pour les mettre en œuvre. Des recommandations finales portant notamment sur les amendements à apporter à la législation en vigueur seront soumises au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.
Pratique encourageante : La Commission de suivi du Honduras propose de modifier et d’élargir les dispositions relatives à la protection des victimes de la violence domestique
Au Honduras, une Commission interinstitutionnelle spéciale chargée du suivi de l’application de la Loi réprimant la violence domestique (en anglais) a été créée à la suite de l’adoption de la Loi réprimant la violence domestique (en espagnol) (1997). Elle est composée de membres du Gouvernement et de représentants de la société civile. En 2004, elle a proposé d’élargir les dispositions relatives aux ordonnances de protection et de faire des actes répétés de violence domestique des infractions pénales. Ces deux amendements ont été approuvés par le Congrès et sont entrés en vigueur en 2006.
(Voir: Manuel de législation de l’ONU, 3.3.1)
Comment veiller à la qualité du projet de suivi
Les éléments suivants peuvent améliorer la crédibilité d’une étude de suivi :
- Des chercheurs qui connaissent l’environnement culturel et historique sur le lieu de l’étude.
- L’utilisation de sources et d’approches multiples, ainsi que de plusieurs enquêteurs. Lorsque les points de vue des différentes parties prenantes ont été étudiés et comparés, il est possible d’en glaner d’importants résultats. L’emploi de plusieurs approches, par exemple les entretiens et l’étude des dossiers des tribunaux, peut permettre de recueillir un plus grand nombre d’informations. De même, l’utilisation de chercheurs différents apporte à l’étude des compétences et des points de vue variés.
- Les enquêteurs devraient, si possible, vérifier leurs conclusions auprès des parties prenantes, soit de façon informelle soit au cours d’une réunion officielle. Les parties prenantes peuvent alors réagir aux informations recueillies et corriger les erreurs d’interprétation. L’efficacité de l’étude de suivi peut s’en trouver améliorée parce que les parties prenantes seront ainsi associées au processus, s’approprieront les conclusions de l’étude et les appliqueront ensuite avec une efficacité accrue.
- Les enquêteurs devraient conserver les comptes rendus, les notes et les brouillons du rapport. Ces documents constituent une piste d’audit permettant à un chercheur indépendant de comprendre comment ils ont abouti à leurs conclusions.
- Les notes infra-marginales doivent faire l’objet de vérifications soigneuses pour s’assurer de leur exactitude. Lorsque l’étude utilise des descriptions générales au lieu et place des noms des personnes, on veillera à conserver les documents en lieu sûr.
(Voir : Researching Violence Against Women: A Practical Guide for Researchers and Activists (Les recherches sur la violence à l’égard des femmes : Guide pratique à l’usage des chercheurs et des militants), 2005, Chapitre Treize)
ÉTUDE DE CAS : Territoire du silence :
Les droits de la femme et les violences à l’égard des femmes en Russie
En 2008, ANNA (en anglais), qui est le Centre national russe de prévention contre la violence, a créé la Commission indépendante des droits fondamentaux des femmes et de la violence contre les femmes (« la Commission »), composée de défenseurs des droits des femmes et d’experts en matière de violence sexiste de diverses régions de la Russie. La Commission a procédé au suivi des violations des droits fondamentaux des femmes et publié en 2009 un rapport intitulé Territoire du silence : Les droits de la femme et les violences à l’égard des femmes en Russie (en russe).
Dans cette étude de suivi, la Commission a examiné les performances de la Russie à la lumière des obligations qui sont les siennes en vertu du droit international. Le rapport révèle que la faillite systémique de la Russie en ce domaine constitue une violation de ses obligations au titre des divers traités ratifiés par elle, notamment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
La Commission a recueilli des données par les méthodes de l’entretien, de l’analyse de la couverture médiatique, de l’obtention de statistiques auprès des organismes publics et des ONG, et en compilant ses propres statistiques.
Dans son rapport, elle distingue quatre sortes de violation des droits fondamentaux des femmes : la violence domestique, la violence sexuelle et harcèlement sexuel, la traite des femmes et les crimes de violence contre les femmes dans le cadre de pratiques traditionnelles, comme les crimes d’honneur ou les rapts en vue de mariage forcé.
Selon ce rapport, chacun de ces types de violations des droits fondamentaux des femmes est très répandu en Russie. Par exemple, une famille sur quatre fait l’expérience de la violence domestique. La Commission a également effectué une analyse diachronique des tendances et a constaté que le nombre d’infractions « familiales » signalées s’est accru de 47 % entre 2007 et 2008. Malgré l’accroissement des signalements de violence domestique, 20 ONG œuvrant à la prévention de la violence sexiste ont cessé d’exister entre 2006 et 2008 par manque de moyens et de soutien de la part de l’État. En 2008, le nombre de foyers d’accueil spécialement dédiés aux femmes victimes de violences domestiques n’était que de 23 et le nombre de lits réservés aux femmes et à leurs enfants de 200, dans un pays de 142 millions d’habitants.
Pour ce qui concerne la violence et le harcèlement sexuels, la Commission a établi que le nombre de cas de harcèlement sexuel enregistrés par les défenseurs des droits des femmes s’était accru de 38% par rapport à la décennie précédente. Une femme sur trois avait eu au moins une fois des relations sexuelles avec son supérieur hiérarchique, 7 % des femmes avaient été violées par leur supérieur et 80 % d’entre elles s’étaient vu proposer une promotion si elles acceptaient des relations sexuelles. Ces statistiques font entrevoir l’approche retenue par la Commission : en utilisant plusieurs indicateurs et en posant des questions diverses, les enquêteurs ont obtenu une mesure plus exacte du problème du harcèlement sexuel que s’ils avaient utilisé un seul indicateur.
La Commission a comparé les statistiques officielles du viol aux données des centres de crise et a découvert que le nombre de cas enregistrés par les institutions chargées du maintien de l’ordre était beaucoup plus bas que ce que laissait penser les appels reçus par les centres de crise. Seules 8% des victimes de viols avaient porté plainte à la police.
La Commission s’est également penchée sur le problème de la traite des êtres humains : des dizaines de milliers de femmes en sont victimes chaque année en Russie, la plupart à des fins sexuelles. La Commission a relevé que le nombre des infractions découvertes par la police s’est accru ces dernières années. Un centre de réhabilitation pour les victimes de la traite géré par L’Organisation internationale pour les migrations fonctionne depuis 2007.
Outre ces violations de leurs droits fondamentaux, les femmes sont également menacées en Russie par les pratiques traditionnelles telles que les enlèvements de fiancées ou les crimes d’« honneur ». Selon une estimation, 180 cas d’enlèvements ont été enregistrés au Daghestan en 2008. La Commission a relevé que malgré l’absence de données sur les crimes d’« honneur », les dirigeants des ONG de femmes continuent de signaler que les agents de la force publique n’enquêtent pas sur ces épisodes qualifiés de suicides, et que ces agents ne considèrent pas que la sécurité des femmes puisse être une priorité.
La Commission a relevé que la réponse de l’État à toutes ces violations des droits fondamentaux est insuffisante, ce que démontrent les refus d’enregistrer les plaintes des victimes ou d’enquêter sur les infractions. La police est partiale à l’encontre des victimes de viol et se laisse soudoyer par les auteurs de crimes relevant des pratiques traditionnelles. D’autres agents de l’État, tels que les procureurs et les juges, sont peu réceptifs aux besoins des victimes de la violence sexiste. La Commission a attribué ces déficiences à un manque de formation sur la nature particulière de la violence à l’égard des femmes.
La Commission a repéré plusieurs autres obstacles à une protection effective des femmes victimes de la violence. Par exemple, la plupart des victimes de violences domestiques n’ont pas accès à l’assistance juridique gratuite et il n’est pas accordé d’ordonnances de protection pour ce type de violence. L’État n’a adopté aucune stratégie générale ni aucun plan d’action national pour lutter contre la violence à l’égard des femmes et il n’existe pas non plus de système officiel de collecte des données sur la violence domestique. L’étude de la presse a révélé sa partialité dans ce domaine : les médias considèrent généralement les victimes comme responsables de la violence, ne manifestent aucun souci pour les droits de la personne et présentent une image négative des femmes.
L’étude de la Commission donne une illustration de l’utilisation de plusieurs outils de suivi : examen des traités internationaux, examen de la législation et des politiques nationales, examen et comparaison des statistiques de sources diverses sur la prévalence de la violence contre les femmes et sur les poursuites engagées, et utilisation d’approches qualitatives, dans ce cas les entretiens et l’analyse des médias d’information, pour les données impossibles à obtenir par d’autres moyens.