Harmonisation de la nouvelle législation avec l'existante (droit officiel et droit coutumier)

Dernière modification: January 26, 2011

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En adoptant une nouvelle législation relative aux pratiques néfastes, le législateur doit également procéder à l'examen des lois existantes et abroger ou remanier celles qui sont en contradiction avec l'égalité pour les femmes et les filles et avec l'éradication des pratiques néfastes, ou celles qui génèrent des obstacles dans ce sens. Toute nouvelle législation doit de ce fait comporter une disposition exigeant l'abrogation ou la modification des lois, dans quelque domaine que ce soit, qui entrent en conflit avec l’objectif fondamental que constitue le droit des femmes à l'égalité, à la sécurité et à l'éducation

À cet effet, le législateur doit élaborer et réviser des lois dans d'autres domaines, afin que celles-ci reflètent bien la volonté de garantir l’égalité des femmes et des fillettes. Quelques exemples :

  • élaboration d'un droit civil homogène en matière de droit de la famille et de droit de la propriété, primant clairement sur toute loi coutumière ou religieuse contradictoire ;
  • élaboration de lois interdisant les discriminations à l’égard des minorités ;
  • élaboration de lois sur l’immigration qui garantissent, de manière prioritaire, les droits des femmes et des filles ;
  • élaboration de lois garantissant l’amélioration de la situation des femmes en matière d’emploi et garantissant les droits des femmes et des filles à la santé et à l’éducation ;
  • élaboration de lois incitant tous les secteurs de la société à soutenir les femmes et les filles pour leur permettre de participer à la protection de leurs droits fondamentaux et à la disparition des pratiques néfastes.

 

Amendements aux lois

Afin de produire pleinement ses effets, la nouvelle législation sur la violence à l’égard des femmes devrait s’accompagner de la révision et de la modification, le cas échéant, de toutes les autres dispositions législatives pertinentes pour que les droits fondamentaux des femmes et l’élimination de la violence à leur endroit soient inscrits dans la législation de manière cohérente. Manuel ONU, 3.1.6.

  • La législation doit prévoir que soient révisées ou supprimées les dispositions contenues dans d’autres domaines du droit, comme le droit de la famille et du divorce, le droit de la propriété, les règles et règlements concernant le logement, le droit de la sécurité sociale et le droit du travail, qui seraient contraires à la législation adoptée, afin d’assurer l’homogénéité du cadre juridique qui défend les droits fondamentaux des femmes et l’égalité entre les sexes, ainsi que l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Manuel ONU, 3.1.6.
  • Le législateur doit prévoir et autoriser les amendements aux différentes lois relatives à l'éradication des pratiques néfastes lorsque surviennent des conséquences inattendues de ces textes ou qu'apparaissent des types de pratiques imprévus.

Ainsi, le recours au personnel médical pour procéder aux mutilations génitales féminines a constitué une initiative malencontreuse visant à légitimer cette pratique ou à la rendre moins dangereuse. Cette « médicalisation » des MGF doit être prise en compte dans l'élaboration de nouvelles lois et dans les modifications à apporter à l'actuelle législation. Non seulement la législation devra rendre responsable devant la loi le personnel médical effectuant de tels actes, mais les sanctions pénales devront être alourdies et les responsables devront se voir infliger des sanctions administratives à titre individuel, telles que l'interdiction d'exercer la médecine. Voir le module sur les mmutilations génitales féminines (MGF).

  • Le législateur devra réexaminer et modifier les lois à mesure que certains phénomènes comme les migrations, la mondialisation, les situations de conflit, ainsi que les évolutions technologiques et d'autres évènements, modifieront la nature et le mode opératoire des pratiques néfastes existantes.

Par exemple, un meilleur accès à la technologie médicale a permis à un plus grand nombre de personnes de déterminer aisément le sexe d'un fœtus, ce qui a contribué à une utilisation abusive de ces techniques pour faciliter les avortements sélectifs en raison de la préférence accordée aux fils. De ce fait, en Inde, la Loi relative aux techniques de diagnostic prénatal (et amendements) (1994, en anglais) interdit et réprime le recours à toute forme de technologie pour déterminer et divulguer le sexe d'un foetus. Le texte avait à l'origine été promulgué en 1994 pour mettre un terme aux avortements liés au sexe du foetus et enrayer le déséquilibre démographique entre les sexes au sein de la population indienne. En raison des progrès récents, la loi continue toutefois d'être modifiée pour prendre en considération les nouvelles techniques qui permettent de sélectionner le sexe du foetus avant et après la conception.

 

 

ÉTUDE DE CAS : Sierra Leone – Mariage forcé : un crime contre l'humanité

Le rapport du Groupe d’experts des Nations Unies intitulé Bonnes pratiques législatives en matière de « pratiques néfastes » à l’égard des femmes (en anglais) définit les situations de conflit et d'après-conflit comme des facteurs perpétuant les pratiques néfastes telles que le mariage forcé. Le document insiste sur le fait que l'affaire Procureur c. Brima, Kamara et Kanu (Affaire AFRC) (en anglais) en Sierra Leone a constitué un « jugement historique en reconnaissant, pour la première fois dans l'histoire, le mariage forcé en tant que crime contre l'humanité au titre du droit international pénal ». Dans cette affaire, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone a porté son attention sur le recours à la force et à la coercition, sur l'existence d'une relation conjugale et sur le préjudice subi par la victime dans le cadre du conflit armé sévissant dans le pays. {Au cours du conflit, des combattants ont enlevé des jeunes filles et des femmes pour en faire des « épouses de brousse ». Ces femmes et ces jeunes filles ont été violées et ont servi d'esclaves sexuelles. Elles ont également été contraintes d'effectuer certains travaux comme la cuisine et le ménage ainsi que des tâches de portage. Dans les situations de ce type, le mariage forcé s'accompagnait d'esclavage sexuel et de travail forcé. Le Tribunal a toutefois distingué les crimes de mariage forcé et d'esclavage sexuel, définissant le mariage forcé comme la « situation où l’auteur du délit, par ses paroles ou par ses agissements, ou par ceux de quelqu’un dont les actes relèvent de sa responsabilité, oblige une autre personne par l’usage de la force, la menace d’usage de la force ou la contrainte, à lui servir de partenaire conjugal, causant des souffrances graves ou un traumatisme physique, mental ou psychologique à la victime ». Pour la première fois de l'histoire, le Tribunal a considéré le mariage forcé comme un « autre acte inhumain » au titre des crimes contre l'humanité définis par le droit international pénal. Voir : Procureur c. Brima, Kamara et Kanu (affaire AFRC) (en anglais), Tribunal spécial pour la Sierra Leone, 2008, § 190.

Abrogation des dispositions contradictoires des lois coutumières et religieuses

Les pratiques néfastes préjudiciables aux femmes sont profondément ancrées dans les croyances culturelles et les usages. Le droit d’adopter et de pratiquer la culture de son choix est un droit fondamental précieux, mais il ne prévaut pas sur le fait de protéger les femmes et les enfants des pratiques néfastes qui les privent de la jouissance de leurs autres droits fondamentaux universellement reconnus. Le cadre juridique et politique international établit clairement que les États ne peuvent invoquer la culture, la tradition ou la religion pour justifier ou défendre les pratiques néfastes. Dans le cadre des nouvelles lois, le législateur doit par conséquent faire en sorte que le droit et les usages coutumiers n'autorisent ni ne tolèrent ces pratiques.

De nombreux pays possèdent plusieurs systèmes de justice et il n'est pas rare de voir coexister un système officiel avec un système coutumier, voire avec un dispositif coutumier reconnu par l'État. Il peut survenir des contradictions entre ces dispositifs, aussi bien au niveau de la formulation des lois que de leur mise en œuvre. L'un peut protéger les femmes des discriminations tandis qu'un autre peut s'avérer contradictoire, dans ses lois ou dans la pratique, et être discriminant envers les femmes. Le législateur devra tout particulièrement réexaminer les éventuelles contradictions entre le droit coutumier et le droit religieux. Il devra également se pencher sur les situations de doubles systèmes de justice, où le droit civil s'applique parallèlement au droit coutumier ou au droit religieux régissant le droit de la famille ou le droit immobilier, lesquels ont souvent été susceptibles d'engendrer des discriminations à l'égard des femmes. La nouvelle législation doit résoudre les contradictions entre le droit coutumier et le droit officiel en respectant les droits fondamentaux des victimes et les principes d'égalité entre les sexes. Voir : Manuel ONU, p. 15. Lorsqu'il n'existe pas de garantie constitutionnelle de la primauté du droit officiel sur le droit coutumier, le législateur devra envisager, dans la nouvelle législation, une disposition accordant la primauté au système juridique le plus en conformité avec les normes juridiques internationales. Les nouveaux textes doivent veiller à ce que toute loi relative à la primauté du droit officiel prévoie la participation de responsables locaux et coutumiers pour faciliter la mise en œuvre de ces garanties. La nouvelle législation doit s'attacher à ce que le recours à un dispositif de jugement coutumier n'empêche pas la victime de se tourner vers le système de justice officiel.

Le législateur doit aussi envisager de faire précéder les dispositions condamnant les pratiques néfastes de références aux obligations juridiques internationales exigeant des États qu'ils modifient ce type de pratiques. Par exemple, au titre de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, les États sont tenus de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel qui constituent des discriminations à l'égard des femmes (art. 5(a)). De même, la Recommandation générale n° 19 du Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dispose :

« Les attitudes traditionnelles faisant de la femme un objet de soumission ou lui assignant un rôle stéréotypé perpétuent l’usage répandu de la violence ou de la contrainte, notamment les violences et les sévices dans la famille, les mariages forcés, les meurtres d’épouses pour non-paiement de la dot, les attaques à l’acide, l’excision. De tels préjugés et de telles pratiques peuvent justifier la violence fondée sur le sexe comme forme de protection ou de contrôle sur la femme. Cette violence, qui porte atteinte à l’intégrité physique et mentale des femmes, les empêche de jouir des libertés et des droits fondamentaux, de les exercer et d’en avoir connaissance au même titre que les hommes. »

Le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes s'est également déclaré préoccupé par les pratiques qui défendent la culture au détriment de la suppression des discriminations. Dans les Observations finales du Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes : Népal (1999), le Comité a déploré le fait que, dans son interprétation des lois discriminatoires, la Cour suprême du Népal accorde la priorité à la préservation de la culture et des traditions. Par ailleurs, le Comité des droits de l'homme a attiré l'attention sur les droits des minorités qui constituent une atteinte aux droits des femmes. Dans son Observation générale n° 28, il établit que les « droits que l'article 27 du Pacte reconnaît aux membres des minorités pour ce qui est de leur langue, de leur culture et de leur religion ne sauraient autoriser un État, un groupe ou une personne à violer le droit des femmes d'exercer à égalité avec les hommes tous les droits énoncés dans le Pacte, y compris le droit à l'égale protection de la loi » (§ 32). Le Protocole à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique exige également que les États parties interdisent « toutes les formes de pratiques néfastes qui affectent négativement les droits humains des femmes » et prennent toutes les mesures législatives et autres pour protéger les femmes du risque de subir des pratiques néfastes ou toute autre formes de violence, d’abus et d’intolérance (art. 5). De la même manière, la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant exhorte les États à « prendre toutes les mesures appropriées pour abolir les coutumes et les pratiques négatives, culturelles et sociales qui sont au détriment du Bien-être, de la dignité, de la croissance et du développement normal de 1'enfant », y compris les coutumes et les pratiques qui constituent une discrimination fondée sur le sexe (art. 21).

Voir le module sur les crimes « d'honneur ».

Voir le chapitre ci-dessus intitulé Garantie d'une protection constitutionnelle à propos de la primauté de la constitution et des lois nationales.

 

Pratique encourageante : Afrique du Sud - Loi de 2000 relative à la défense de l'égalité et à la prévention des discriminations injustes (n° 20876), ch. 2, art. 8 (en anglais)

En Afrique du Sud, la Loi relative à la défense de l'égalité et à la prévention des discriminations injustes (en anglais) interdit toutes les formes de discrimination fondée sur le sexe, y compris les mutilations génitales féminines et les politiques discriminatoires en matière de propriété et d'accès aux services médicaux, à l'éducation et à l'emploi. Le texte restreint en particulier les pratiques traditionnelles, coutumières et religieuses qui perpétuent ces formes de discrimination liée au sexe, ainsi que d'autres :

Interdiction des discriminations injustes fondées sur le sexe

8. Aux termes de l’article 6, nul ne peut faire subir à autrui des pratiques discriminatoires en raison de son sexe, notamment

a) des violences liées au sexe ;

b) des mutilations génitales féminines ; 

c) le mécanisme empêchant les femmes d'hériter des biens familiaux ;

d) toute pratique, notamment traditionnelle, coutumière ou religieuse, portant atteinte à la dignité des femmes et compromettant l'égalité entre hommes et femmes, y compris toute pratique portant préjudice à la dignité et au bien-être des fillettes ;

e) toute politique ou tout comportement qui restreint de façon injuste la possibilité pour les femmes de jouir de leurs droits fonciers et des ressources financières ou d'une autre nature ;

f) toute discrimination pour cause de grossesse ;

g) toute restriction de l'accès des femmes aux services sociaux ou aux prestations sociales, notamment en matière de santé, d'éducation et de sécurité sociale ;

h) la privation de l'accès à certaines opportunités, notamment à des services ou des opportunités contractuelles de rendre des services moyennant contrepartie, ou l'absence de mesures pour répondre raisonnablement aux besoins de ces personnes ;

i) l'inégalité des chances généralisée subie par les femmes du fait d'une répartition du travail fondée sur des critères sexuels.

(Les passages soulignés le sont par nos soins