La force, la fraude ou la contrainte

Dernière modification: January 25, 2011

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L’utilisation des termes « force » ou « contrainte » constitue l’un des points les plus controversés de la définition de la traite à des fins sexuelles dans de nombreux instruments internationaux et lois nationales. Les législateurs comme ceux qui mènent des activités de plaidoyer ont tenté d’établir une distinction entre les personnes qui ont été « contraintes » de se livrer à une activité sexuelle à des fins commerciales et/ou à la prostitution, d’une part, et celles qui se sont offertes de leur plein gré, d’autre part. Les pays qui élaborent actuellement une définition de la traite à des fins sexuelles doivent néanmoins utiliser les termes « force », « fraude » et « contrainte » avec prudence. L’ONUDC recommande aux législateurs de tenir compte du fait que « ce qui peut apparaître comme une “offre de plein gré” de la part d’un travailleur/d’une victime peut être le résultat d’une manipulation ou ne pas reposer sur une décision éclairée ». Voir : Loi type de l’ONUDC contre la traite des personnes, art. 5 (1) (i), commentaire.

Il convient de ne pas citer les moyens de « force », de « fraude » et de « contrainte » pour les victimes âgées de moins de 18 ans. La loi ghanéenne de 2004 contre la traite dispose que le consentement de l’enfant, de ses parents ou de son tuteur ne peut être invoqué comme moyen de défense dans des poursuites pénales. Voir : Renforcer les lois contre l’exploitation sexuelle des enfants, p. 45, 2008. Le Code pénal norvégien affirme aussi que les enfants ne peuvent consentir à faire l’objet de la traite, disposant que toute personne qui commet des actes sanctionnés par la loi à l’encontre d’une autre âgée de moins de 18 ans est passible d’une peine d’emprisonnement, sans égard à l’utilisation de la force ou de menaces, à l’exploitation de la vulnérabilité d’une personne ou autres conduites abusives similaires. Voir : Renforcer les lois contre l’exploitation sexuelle des enfants, p. 45, 2008.

En ce qui concerne les victimes âgées de plus de 18 ans, il conviendrait d’adopter une définition de la traite à des fins sexuelles où figure l’expression « quel que soit le moyen utilisé », car le moyen utilisé pour soumettre une personne à un travail forcé ou la réduire en esclavage ou en servitude est indifférent dès lors que les objectifs ultimes ont été démontrés. Voir : Lutter contre la traite des êtres humains aux Amériques : Guide de campagne à l’échelle internationale, p. 41, 2007 (en anglais). Aux termes du droit de la Malaisie comme de l’État du Minnesota aux États-Unis, le consentement n’est pas pris en considération dans les affaires de traite à des fins sexuelles, que les victimes soient adultes ou enfants. Voir : rapport établi par Mohamed Mattar à la demande des Nations Unies, p. 4 (en anglais) ; Loi du Minnesota, États-Unis, § 609.321, 7a et Loi du Minnesota, États-Unis, § 609.325, 2009 (en anglais).

Le droit belge relatif à la traite des êtres humains estime également que le consentement n’entre pas en ligne de compte et punit « quiconque, pour satisfaire les passions d’autrui, aura embauché, entraîné, détourné ou retenu, en vue de la débauche ou de la prostitution, même de son consentement, une personne majeure ». Voir : Loi de la Belgique contenant des dispositions en vue de la répression de la traite et du trafic des êtres humains et de la pornographie enfantine, chapitre 1, art. 3 venant remplacer l’art. 380bis § 1. 1, 1995, disponible sur www.legislationline.org.

Le droit colombien proclame que « le consentement donné par une victime à toute forme d’exploitation définie dans le présent article ne constituera pas un motif de décharge de responsabilité personnelle ». Voir : Loi contre la traite des êtres humains de la Colombie, art. 3, 2005 (en espagnol).

Des normes internationales, comme le Protocole des Nations Unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, constatent que les trafiquants ont souvent recours à des formes subtiles de « tromperie », d’« abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité » pour piéger leurs victimes. En vertu de ce Protocole, un trafiquant est tenu pour responsable s’il commet les actes décrits dans l’une de ces trois situations :

  1. Lorsqu’il menace de recourir ou recourt à la force pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ; OU
  2. Lorsqu’il recourt à d’autres formes de contrainte, l’enlèvement, la fraude, la tromperie, l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ; OU
  3. Lorsqu’il offre ou accepte des paiements ou avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation.

(Voir : Protocole des Nations Unies relatif à la traite des personnes, art. 3.)

Au Royaume-Uni, l’Association des praticiens du droit de l’immigration a répertorié d’autres moyens subtils de contrôle que les trafiquants peuvent employer pour exercer leur emprise sur les victimes, notamment : susciter en elles la crainte de l’autorité, les isoler et imposer des restrictions à leur liberté de mouvement. Voir : La nature et l’étendue de la traite des êtres humains en Irlande du Nord, Commission des droits de l’homme de l’Irlande du Nord, p. 16, 2009 (en anglais).

Le module 4 du Manuel de l’ONUDC contre la traite des êtres humains à l’intention des praticiens du droit pénal (2009, en anglais) évoque les diverses formes de contrôle auxquelles les trafiquants ont recours, y compris les formes moins évidentes comme la position d’autorité occupée dans une relation avec la victime, l’isolement de celle-ci ou l’emprise exercée sur elle par la religion, les croyances et la culture. Il est important de garder à l’esprit le point suivant : « [L] e fait qu’une personne n’a pas été agressée ni menacée de violence ne signifie pas qu’elle ne subit pas une méthode de contrôle. Certaines formes subtiles de contrôle sont aussi voire plus puissantes que la force physique et les menaces. »

Le Code pénal allemand est un bon exemple d’une législation nationale qui traite avec subtilité des moyens de contrainte.

« Quiconque exploite une personne par l’intermédiaire d’une situation de contrainte ou de détresse consécutive au séjour de cette personne dans un pays étranger pour l’inciter à se prostituer ou à continuer à le faire, à se livrer à des actes sexuels sur ou devant l’auteur de la traite ou un tiers responsable de son exploitation, ou à laisser l’auteur de la traite ou un tiers se livrer à des actes sexuels sur elle, est puni d’une peine d’emprisonnement de six mois à dix ans. Est sanctionné de la même façon quiconque incite une personne âgée de moins de 21 ans à se prostituer ou à continuer à le faire, ou à se livrer à tout autre acte sexuel énoncé à la première phrase. »

(Voir : Code pénal allemand, § 232, disponible (en allemand et en anglais) sur www.legislationline.org.)

Le Code pénal turc fait d’abord référence à la contrainte tout en énonçant les moyens plus subtils auxquels les trafiquants ont souvent recours pour contrôler leurs victimes.

« La traite à des fins sexuelles désigne :

1. Le fait de recruter, d’enlever, de transporter, de transférer ou d’héberger des personnes aux fins de travail ou services forcés, de prostitution, d’esclavage ou de prélèvement d’organes, en obtenant leur consentement par la menace, l’oppression, la contrainte, le recours à la violence, l’abus d’influence, la tromperie, l’abus d’autorité ou l’exploitation des vulnérabilités de ces personnes, est puni d’une peine d’emprisonnement de huit à douze ans et d’une amende équivalente à 10 000 jours.

2. Le consentement de la victime est indifférent dès lors que les actes constituant l’infraction sont commis aux fins énoncées au paragraphe 1.

3. Dans le cas où un enfant ou un adolescent de moins de 18 ans est la cible du recrutement, de l’enlèvement, du transport, du transfert ou de l’hébergement aux fins énoncées au paragraphe 1, les sanctions prévues au paragraphe 1 s’appliquent, même lorsqu’aucun acte intermédiaire lié à l’infraction n’est commis.

4. Les personnes morales font aussi l’objet de mesures de sécurité pour ce type d’infraction. »

(Voir : Code pénal turc, art. 8, disponible (en anglais) sur www.legislationline.org.)

ÉTUDE DE CAS :

Aux États-Unis, où la Loi sur la protection des victimes de la traite est en vigueur depuis dix ans, les législateurs et les professionnels du droit pénal ont commencé à se rendre compte de la difficulté de prouver qu’un individu avait commis une infraction de traite à des fins sexuelles ou en avait été victime. Autrefois, les formes les plus graves de traite des êtres humains nécessitaient que soit prouvé le recours à « la force, la fraude et la contrainte » pour qu’on puisse imposer les sanctions les plus sévères et assurer la protection la plus efficace des victimes.

Les représentants de l’État ont récemment commencé à revoir leur position face à la difficulté de prouver le recours à « la force, la fraude ou la contrainte ». En décembre 2008, le ministère américain de la Justice a invité tous les États à rédiger des textes de loi relatifs à la traite à des fins sexuelles et/ou au proxénétisme où la preuve du recours à « la force, la fraude et la contrainte » ne serait pas donnée comme nécessaire. Voir : Loi William Wilberforce de réautorisation sur la protection des victimes de la traite [2008], art. 225 (en anglais).

En outre, l’article 222 de cette même loi a été interprété de la manière suivante : la preuve de la force, de la fraude ou de la contrainte doit désormais être appréciée du point de vue des personnes qui se trouvent dans la situation particulière des victimes et non dans la perspective d’un « individu moyen ». Voir : La Loi William Wilberforce de réautorisation sur la protection des victimes de la traite [2008] : 50 dispositions fondamentales, texte en anglais publié par l’Armée du salut.

Cette nouvelle approche n’est pas loin de considérer que nul ne peut consentir à faire l’objet de la traite aux fins de prostitution, en particulier lorsqu’un trafiquant ou un proxénète est impliqué. Comme l’expliquent souvent celles et ceux qui soutiennent les personnes tentant de s’extraire de la prostitution, l’existence de cette pratique – qu’elle ait lieu dans la rue ou dans un établissement de prostitution – est liée à certaines conditions qui produisent un environnement où quiconque cherche à tirer profit de l’exploitation des femmes et des enfants peut s’en prendre aux plus vulnérables, les entraînant ainsi dans le monde clandestin de la traite à des fins sexuelles.

Malgré cette évolution amorcée aux États-Unis, il est toujours à craindre que les dispositions complexes de la loi fédérale contre la traite ne permettent pas d’assurer la protection des victimes ni d’intenter des poursuites contre les auteurs de la traite. En octobre 2007, la Coalition contre le trafic des femmes a publié une lettre, signée par 100 représentants du mouvement de lutte contre la traite, où elle faisait part de son inquiétude face à la promotion par le ministère de la Justice d’une loi type pour les États nécessitant la preuve du recours à la force, à la fraude ou à la contrainte :

« De nombreux éléments viennent corroborer l’idée selon laquelle un grand nombre des victimes tenues en esclavage par des trafiquants souffrent d’un syndrome d’attachement traumatique ou d’autres troubles similaires qui les empêchent de fournir le témoignage essentiel à l’engagement de poursuites dans des situations où la force, la fraude ou la contrainte ont été employées. Nous estimons même que la ligne de conduite adoptée par le ministère incitera les auteurs de la traite à accroître les actes de violence physique et psychologique à l’encontre des personnes qu’ils exploitent pour s’assurer qu’elles ne témoigneront pas contre eux. » Voir : Lettre de la Coalition contre le trafic des femmes à l’attention du ministre de la Justice par intérim, Peter Keisler, octobre 2007 (en anglais).

En décembre 2007, la Chambre des représentants a transmis à la Commission judiciaire un projet de loi portant ajout d’une nouvelle infraction au titre 18, chapitre 117 du Code des États-Unis et définissant la traite à des fins sexuelles de la manière suivante : « Quiconque, dans le cadre du commerce extérieur ou entre les États, dans le ressort de la compétence territoriale et maritime spéciale des États-Unis, ou sur un territoire ou une possession des États-Unis, amène, incite ou entraîne délibérément une personne à se livrer à la prostitution qui constitue une infraction sanctionnée par la loi, ou tente de le faire, est puni d’une amende conformément au présent titre, ou d’une peine d’emprisonnement ne pouvant excéder 10 ans, ou des deux. » Voir : H.R. 3887, 110e Congrès, 1re séance (en anglais). Cette formulation n’a pas été retenue dans le projet de loi final réautorisant la Loi sur la protection des victimes de la traite.