Les approches qualitatives fournissent des informations contextuelles détaillées sur le « pourquoi » et le « comment ». Ces informations qui viennent compléter et éclairer les données quantitatives data sont extrêmement utiles pour comprendre les normes et attitudes sous-jacentes de niveau communautaires concernant la violence à l’égard des femmes et les facteurs non quantifiables qui influent sur les réactions des prestataires de services face aux cas de violence, notamment la stigmatisation et la discrimination, ainsi que les obstacles et les difficultés auxquelles se heurtent les femmes pour accéder aux services et aux appuis.
Difficultés et limitations des méthodes qualitatives
- Les méthodes qualitatives participatives exigent davantage de temps et de ressources
- Les données qualitatives sont plus difficiles à analyser et à comparer
- Les données qualitatives sont parfois considérées comme moins crédibles par les décisionnaires et les bailleurs de fonds qui préfèrent les chiffres.
Les interventions visant les attitudes et les opinions, en particulier, doivent équilibrer les données quantitatives par des approches qualitatives dans leurs plans de suivi et évaluation.
Les données quantitatives peuvent, par exemple, révéler le nombre de cas de violence à l’égard des femmes déclarés à la police, mais les méthodes qualitatives et les entretiens participatifs avec les femmes et les intervenants de première ligne de la police peuvent fournir des renseignements importants sur les facteurs influant sur le nombre de déclarations ou la non-déclaration.
Ils peuvent, par exemple, mettre en évidence l’absence de familiarité avec les droits et obligations prévus par la loi, la perception d’une insensibilité de la police aux besoins des survivantes, la crainte de la part des femmes qui envisagent d’engager des poursuites de se voir stigmatisées par la communauté, de se faire expulser de leur domicile, de faire l’objet d’autres violences, ou d’être exposées à la gêne de devoir relater leur expérience de la violence en public ou à des responsables officiels peu sympathisants.
Forces et difficultés de la recherche participative en Mélanésie et au Timor oriental
Les processus participatifs utilisés pour étudier la violence à l’égard des femmes en Mélanésie et au Timor oriental se sont avérés efficaces pour appréhender les efforts en cours visant à résoudre le problème dans la région et pour favoriser un dialogue et une réflexion critique au sein de secteurs divers de la population. Cette approche a apporté notamment les avantages suivants :
- Diversité. L’emploi de méthodes participatives a permis de recueillir des opinions comparables de la part de parties prenantes diverses (juges à la Cour suprême, ministres des affaires féminines, activistes des droits de la femme, ONG locales, hommes et femmes membres des communautés et dirigeants traditionnels). L’application de méthodes semblables aux différents groupes a permis aux chercheurs de déterminer les points communs ainsi que les divergences d’opinion.
- Triangulation. Le recours à diverses méthodes de recueil de données (examen documentaire, entretiens individuels et débats de focus groups), à divers informateurs (par leur appartenance ethnique, l’éducation, la profession, le sexe, etc.) et à divers chercheurs a autorisé une triangulation des données et une corroboration et une validation des constats.
- Participation. L’association des parties prenantes clés de chaque pays dès le lancement du processus a été essentielle pour accéder à une large gamme d’informateurs. L’inclusion de ces parties prenantes dans l’interprétation des constats et dans la formulation de recommandations a créé un sentiment d’appropriation locale des résultats. Le rapport régional issu de cette activité jouit ainsi d’une légitimité considérablement plus grande en tant que guide de futures interventions que s’il avait été perçu comme étant le résultat de travaux de consultants externes ou d’un organisme bailleur de fonds.
- Dialogue. Le processus participatif a permis d’établir un terrain de dialogue neutre entre certains secteurs qui interagissent rarement, de forger un consensus sur les recommandations et de parvenir à certains compromis, ce qui aurait été difficile dans d’autres circonstances. Surtout, il a permis aux groupes les moins puissants, notamment aux femmes survivantes de la violence, de faire entendre leur voix tout au long du processus.
Parmi les principales difficultés présentées par l’emploi d’une démarche participative, ont figuré en particulier :
- La nécessité d’allouer davantage de temps et de ressources que pour une évaluation classique
- Les problèmes de comparaison et de synthèse d’une somme considérable de données complexes provenant de cinq pays différents
- L’élaboration d’un consensus sur les résultats parmi des participant(e)s d’horizons très divers présentant des différences de points de vue considérables
En définitive, la plupart des participant(e)s ont été d’accord pour considérer que la valeur du rapport final ne résidait pas dans les recommandations mais dans le processus qui y avait mené et qui démontrait la possibilité d’induire des changements sociaux par le biais de la recherche.
Source : Ellsberg, Bradley, Egan and Haddad. Using Participatory Methods for Researching Violence against Women: An Experience from Melanesia and East Timor (2008).
Parmi les méthodes de recueil de données qualitatives figurent :
- Les débats de focus groups avec les populations cibles en phases de pré-intervention et de post-intervention
- Les entrevues avec les populations cibles et les principaux informateurs en phases de pré-intervention et de post-intervention
- Les méthodes participatives telles que l’apprentissage et action participatifs et la recherche-action participative
Source : International HIV/AIDS Alliance. 2008. Feel! Think! Act! A Guide to Interactive Drama for Sexual and Reproductive Health with Young People.
Les principes fondamentaux de la recherche participative sont les suivants:
- Elle applique un processus souple et interactif d’exploration qui stimule la créativité, la flexibilité et l’improvisation dans l’emploi des méthodes, pour faciliter l’apprentissage.
- Les membres de la communauté dirigent le processus, en ce sens que les connaissances sont produites sur la base de leurs expériences. C’est également eux qui définissent les priorités de la recherche ainsi que le recueil, l’analyse et l’interprétation des données.
- Le rôle des intervenants extérieurs est de faciliter et non pas de diriger le processus d’apprentissage et la production de connaissances.
- Les participant(e)s, et pas seulement les chercheurs ou les intervenants extérieurs, sont les propriétaires des méthodes et des résultats. La socialisation des connaissances et de techniques est largement encouragée dans la recherche participative.
- Au lieu d’établir une moyenne réductrice, la diversité est accrue. La recherche participative vise à révéler les différences au niveau des situations, des attitudes et des pratiques, selon les classes sociales, le genre et l’ethnicité et s’efforce de tirer des enseignements des cas qui apparemment présentent des déviations inattendues.
- Les résultats sont validés au moyen d’une triangulation. Il s’agit ici de l’emploi de différentes méthodes pour étudier le même phénomène, ou de la même méthode avec des groupes divers, par exemple par sexe ou par classe sociale, pour déterminer si les résultats sont valables pour chacun des groupes.
- L’ensemble du processus, et pas seulement les résultats, est conçu pour renforcer l’habilitation au niveau individuel et communautaire, ce qui favorise le changement social. L’accent est mis sur l’évaluation de la qualité et sur la compréhension de l’impact de la participation, et pas seulement sur la promotion de la participation.
Exemples de méthodologies participatives
Il existe plusieurs types de méthodes qualitatives et participatives : discussions de focus group, histoires ouvertes, diagrammes de Venn, lignes de temps, histoires numérique/photovoix, cartographie corporelle, cartographie par recensement, cartographie sociale, diagrammes de problèmes et de solutions, cartographie des parties prenantes communautaires, jeux de rôle, études de cas, sessions de brainstorming, classement des priorités, analyse des champs de force, et bien d’autres encore. On trouvera ci-dessous des exemples de certaines de ces méthodes. Des détails supplémentaires sont donnés dans la section Ressources.
Histoires ouvertes
(Heise and Ellsberg, 2005)
Les histoires ouvertes, en fait à composantes ouvertes, sont utiles pour explorer les croyances et les opinions des gens ainsi que pour identifier les problèmes ou les solutions lors de l’élaboration d’un programme. Cette méthode est particulièrement appropriée lorsque le public cible a peu d’éducation formelle, et elle aide à encourager la participation aux discussions.
Dans ce type d’histoires, on omet volontairement de la narration le début, le milieu ou la conclusion. Le public discute de ce qui peut se passer dans la partie de l’histoire omise. En règle générale, le début de l’histoire expose un problème, le milieu propose une solution et la fin décrit les effets obtenus.
Il est important, pour employer cette technique, de tenir compte des points suivants :
- Il faut concevoir toute l’histoire à l’avance, de manière à ce que la partie qui est omise cadre bien avec le reste.
- Il faut disposer d’un narrateur possédant de bonnes aptitudes en matière de communication. Compte tenu des discussions du groupe, la narration de l’histoire et la reconstitution de la partie omise peuvent durer jusqu’à deux heures.
- Le narrateur doit être capable de raconter l’histoire, d’écouter et de répondre à l’analyse de la communauté. Il peut être utile, en sus du narrateur principal, de faire intervenir un second narrateur qui aide la communauté à combler les lacunes. Il faut documenter la narration de l’histoire et la reconstitution de la partie manquante. Un enregistrement audio/vidéo peut être utile pour ce faire.
Exemple d’histoire ouverte : Les relations sexuelles forcées chez les jeunes du Ghana
Au Ghana, des chercheurs ont fait usage d’une forme d’histoire ouverte pour élucider les façons dont les jeunes peuvent refuser les relations sexuelles non désirées et ce qui se passerait si les jeunes essayaient d’employer un préservatif.
En s’informant sur les réactions des jeunes dans ces situations, l’équipe espérait pouvoir affiner ses matériels de promotion en faveur de meilleures pratiques de santé sexuelle. Dans cette adaptation, les chercheurs ont utilisé une approche de la narration d’histoires dans laquelle les participant(e)s se livrent à un jeu de rôle d’après la description de scènes donnée par le facilitateur. Aux points appropriés, le facilitateur interrompt et intervient pour lancer la discussion et pour introduire un élément nouveau susceptible de modifier les réactions du public.
Cette technique crée une atmosphère détendue, plaisante et non menaçante dans laquelle les jeunes peuvent jouer leur rôle et discuter de questions relatives à la sexualité et à la violence. Les histoires choisies ont permis aux participant(e)s de débattre de questions diverses, sans s’impliquer nécessairement eux-mêmes dans la situation. Pour contribuer à créer des personnages possédant de la réalité dans l’esprit des participant(e)s, les facilitateurs ont demandé des apports du groupe pour décider du nom et des traits de personnalité des personnages. On trouvera ci-dessous un exemple d’histoire ayant pour objet de discuter des questions relatives au mariage précoce forcé.
Alhaji a épousé Kande avec la bénédiction des parents de celle-ci. Kande (seule fille d’une famille de quatre enfants) a 14 ans et Alhaji en a 50. Alhaji a déjà trois épouses, mais aucune d’elles ne lui a donné de fils. Un jour donc, il appelle Kande et lui parle de son problème et de son désir de procréer avec elle un héritier masculin. Il lui dit également que, comme elle est vierge, il est certain qu’elle donnera naissance à un garçon. Kande a peur, lui dit qu’elle est trop jeune pour avoir des enfants et l’assure que s’il peut attendre encore deux ans, elle lui donnera un fils. Alhaji lui répond : « Je t’ai épousée. Ce n’est pas à toi de me dire ce que je dois faire. Que tu le veuilles ou non, je coucherai avec toi ce soir. » Une fois le sketch joué, le facilitateur a demandé aux membres du groupes s’ils trouvaient l’histoire réaliste et si ce genre de situations se présente dans leur région. Après avoir analysé les données, les auteurs ont noté : « Ces histoires semblent montrer que, du moins chez ces participant(e)s, la coercition, la tromperie, la force et les nécessités financières sont fréquentes et, fait déplorable, constituent des éléments communs de la sexualité pour les jeunes du Ghana ».
Source : Tweedie I. Content and context of condom and abstinence negotiation among youth in Ghana. In: Third Annual Meeting of the International Research Network on Violence against Women. Takoma Park, Maryland: Center for Health and Gender Equity; 1998. P. 21-26. Cité dans Ellsberg and Heise, PATH 2005.
Des chercheurs mexicains ont appliqué une démarche analogue pour explorer les attitudes communautaires envers les femmes vivant avec un partenaire violent. Dans le cadre d’un projet de recherche et de démonstration mené à Ixtacalco (Mexique), ils ont organisé une série de réunions de focus groups durant lesquelles ils ont posé aux participant(e)s une série de questions basées sur la vie d’un couple fictif, Victor et Rosita. Dans ce cas, le facilitateur a lu le scénario, puis les chercheurs ont donné à chaque sous-groupe de participant(e)s une carte portant une question pour lancer la discussion.
Rosita vit avec son mari Victor et ses deux enfants, un garçon de trois ans et une fille de cinq. Elle a fait cinq ans d’études primaires et est femme au foyer, mais depuis un certain temps, elle veut quitter Victor. Il ne lui donne pas suffisamment d’argent pour tenir son ménage et ne la laisse pas travailler à l’extérieur parce qu’il est jaloux. Quand il rentre saoul à la maison, il l’insulte et la force parfois à coucher avec lui bien qu’elle ne le veuille pas. Rosita a essayé de lui parler, mais autant parler à un mur. Elle subit cette situation depuis quatre ans et n’en a parlé à personne. Elle ne sait plus que faire… Le facilitateur a divisé le groupe en quatre sous-groupes auxquels il a remis à chacun une carte qui décrit une alternative dont Rosita dispose et qui contient une série de questions auxquels il est demandé aux participant(e)s de répondre pour finir de raconter l’histoire.
Groupe 1 : Rosita décide de demander de l’aide : 1. Auprès de qui trouve-t-elle de l’aide ? 2. Que lui dit-on pour l’aider ? 3. Que décide-t-elle de faire ?
Groupe 2 : Rosita demande à quelqu’un de parler à Victor : 1. Qui Victor écouterait-il ? Que devrait lui dire cette personne ? 2. Quelle serait la réaction de Victor si d’autres personnes essayaient d’intervenir ? 3. Quelles raisons Victor invoque-t-il pour justifier sa façon de traiter Rosita ?
Groupe 3 : Rosita décide de quitter Victor : 1. Qu’est-ce qui représentera la plus grande difficulté pour elle ? 2. Comment cela affectera-t-il ses enfants ? 3. Que doit faire Rosita pour réussir seule ?
Groupe 4 : Rosita décide de quitter Victor mais revient quinze jours plus tard : 1. Qu’est-ce qui a incité Rosita à revenir ? 2. Comment sa famille/ses amis réagissent-ils ? 3. Pensez-vous que ce soit là la meilleure solution pour elle et ses enfants ?
Source : Fawcett et al, 1999.
Exemple d’adaptation d’une histoire ouverte: Rosita se rend au centre de santé
Dans l’examen des services de santé pour les survivantes de violences sexistes mené en Amérique centrale par l’Organisation panaméricaine de la santé (OPS), l’histoire de Rosita a été adaptée pour parler aux travailleuses et travailleurs de la santé de la façon dont les femmes vivant avec la violence sont traitées dans les centres de santé. Dans l’histoire telle qu’elle a été modifiée, Rosita se rend au centre de santé pour une visite médicale de routine et l’infirmière lui demande si elle a jamais été maltraitée par son mari. Il est demandé au groupe d’imagine la fin de l’histoire, en discutant des questions suivantes :
> Que dit Rosita à l’infirmière en réponse à la question sur la violence ?
> Quels sont les sentiments de Rosita lorsqu’on l’interroge sur la violence ?
> Quels sont les sentiments de l’infirmière lorsque celle-ci parle à Rosita de sa vie familiale ?
> Qu’arrivera-t-il à Rosita si elle admet ce qui se passe chez elle ?
> Quel est le type d’aide qui lui serait le plus utile ?
> Pensez-vous qu’elle trouvera cette aide au centre de santé ?
> La situation de Rosita est-elle chose commune pour les femmes de la communauté ?
> Que se passe-t-il quand les femmes qui vivent dans des situations de violence au foyer
viennent au centre de santé demander de l’aide ?
Ces questions ont été utilisées pour lancer une discussion focalisée sur les types de services offerts par le centre de santé des participant(e)s aux femmes qui se trouvent dans la situation de Rosita. L’histoire a suscité de très riches débats sur la façon dans les prestataires de soins détectaient la violence chez leurs clientes et sur la façon de les traiter.
Exemples de commentaires des prestataires de soins :
« Je traitais tout le temps des femmes qui souffraient de spasmes musculaires et je ne leur posais jamais de questions. Jusqu’au jour où j’ai commencé à me rendre compte que pour beaucoup d’elles, ces symptômes étaient dus à des violences. Les femmes attendent que quelqu’un vienne frapper à leur porte. Après s’être tues, certaines pendant des années, elles sont reconnaissantes de pouvoir se décharger de leur fardeau. »
« Quelquefois, quand je fais un prélèvement pour un test de Pap, je vois des femmes âgées qui présentent des lésions, des abrasions, des meurtrissures provenant de rapports sexuels forcés. »
Source : Velzeboer, M, Ellsberg M, Clavel C, Garcie-Moreno C. Violence against Women: The Health Sector Responds. Washington, DC: Pan American Health Organization, PATH; 2003.
Les histoires ouvertes ont également été utilisées dans les évaluations des interventions en Mélanésie et au Timor oriental pour apprécier la façon dont la violence était vécue par les femmes et l’accessibilité des services pour les survivantes/victimes. Par le biais de deux histoires de femmes fictives, l’une battue par son mari, l’autre dont la jeune sœur a été violée par un camarade de classe, cette étude a exploré les types d’appuis auxquels les femmes peuvent avoir accès en Mélanésie et au Timor oriental. Les histoires ont été présentées lors de discussions de focus groups et il a été demandé aux participant(e)s de dire où ces femmes pourraient s’adresser pour trouver de l’aide, à quels types d’obstacles elles étaient susceptibles de se heurter et quels seraient, selon toute vraisemblance, les résultats de leurs efforts.
Exemples de réponses aux questions ouvertes utilisées en Mélanésie et au Timor oriental
Les femmes, dans leur immense majorité, recherchent tout d’abord des appuis auprès de réseaux informels. Elles n’ont recours aux services formels, tels que les centres pour femmes ou la police, qu’en dernier ressort, pour diverses raisons. En répondant à l’histoire de Leila, la femme battue, les participant(e)s ont déclaré qu’elle pourrait s’adresser à ses amis ou à des membres de sa famille pour se réfugier chez eux dans l’immédiat; toutefois, ceux-ci ne pourraient pas lui venir en aide pendant très longtemps. Les amis de Leila hésiteraient à s’impliquer par crainte de représailles que pourraient lui infliger son mari. Les membres de sa famille penseraient peut-être qu’un mari a le droit de battre sa femme, en particulier s’il a été versé une dot et ne voudraient pas être forcés de rendre la dot à la famille du mari. Également, étant donné que dans plusieurs pays le droit coutumier accorde la garde des enfants à la famille du mari, l’épouse risque de perdre ses enfants en cas de séparation. « Quand cela se produit, le père dit généralement aux enfants que leur mère est partie parce qu’elle ne les aimait pas. Les enfants souffrent quand leur mère n’est pas là. » (Greffier du tribunal local, Vanuatu).
Étant donné que la violence domestique est perçue comme relevant de la vie privée, les participant(e)s ont déclaré que les autres membres de la communauté ou les parents s’abstiendraient sans doute d’intervenir pour protéger Leila de son mari. On entend souvent les témoins d’actes de violence qui n’interviennent pas pour s’y opposer dire en bislama « Mi no wantem save » (je ne veux pas le savoir) ou « Ino bisnis blo mi » (cela ne me regarde pas).
Leila pourrait également rechercher l’appui du chef local ou du pasteur de son église. Le pasteur rappellerait à Leila qu’elle avait promis de rester marier à son époux « jusqu’à ce que la mort les sépare »; il l’encouragerait à « pardonner, à passer l’éponge » et à rentrer chez son époux. « Si les faits se produisent en milieu rural, le Centre de crises pour femmes de Fidji est trop éloigné et le pasteur est généralement la première personne que les femmes vont trouver. Dans certains villages, le pasteur continue de rendre visite aux femmes et de les conseiller sur la base de principes bibliques…. » (Quote from whom?, Département des services sociaux de Labasa, Fidji).
Le chef, en revanche, pourrait ordonner une audience du tribunal coutumier, dit kastom, qui condamnerait le mari, ou le mari et Leila, à une amende, après quoi le chef renverrait Leila chez son mari. En conséquence, la plupart des femmes ont commencé à comprendre qu’elles avaient très peu de pouvoir face à la violence. « Elle ne peut rien dire, d’une part à cause de la dot et d’autre part parce qu’elle est exposée à des menaces.… Elle n’a nulle part où aller; son père et sa mère, par exemple, ne veulent pas d’elle; certaines femmes se trouvent dans cette situation. Et certaines d’entre elles ont plusieurs enfants, ce qui les empêche de rentrer chez leurs parents. Elles ont leurs raisons à elles pour cela. » (Discussions du focus group de femmes de Kup, Papouasie-Nouvelle-Guinée).
Cartographie communautaire
(Heise and Ellsberg, 2005)
Les « cartes communautaires » sont un excellent outil pour le recueil de données qualitative datas, en particulier dans les cultures possédant une forte tradition visuelle. Comme pour d’autres techniques participatives, les cartes peuvent être dessinées sur du papier au moyen de crayons de couleur ou sur le sol, dans la terre, au moyen de matériaux naturels tels que des morceaux de bois et des cailloux. La cartographie peut servir à identifier ou à mettre en évidence de nombreux aspects de la communauté, notamment ses caractéristiques géographiques, démographiques, historiques, culturelles et économiques. S’agissant de la violence à l’égard des femmes et des filles, la cartographie communautaire permet d’identifier, par exemple, le nombre, l’emplacement et la qualité de divers services (médicaux, juridiques, refuges et autres) à la disposition des survivantes, ou les zones dangereuses où les abus, le harcèlement sexuel et les agressions risquent le plus de se produire, entre la maison et le travail, la maison et l’école, ou dans d’autres lieux publics.
Processus de cartographie communautaire (CARE International, 1998) :
1. L’équipe du projet rend visite à la communauté et invite les habitants à participer à l’exercice;
2. L’équipe explique le but de la visite et évalue l’intérêt manifesté par les gens et leur disponibilité en vue de leur participation;
3. Elle demande ensuite aux gens de dessiner une carte de la zone;
4. En réponse à cette demande, certaines personnes ont pour réaction de chercher un bâton et de commencer à dessiner la carte sur le sol; d’autres cherchent du papier et des crayons. Prévoyez de fournir ces matériels, s’il est approprié.
5. À mesure que la carte commence à prendre forme, d’autres membres de la communauté s’impliquent. Laissez aux gens tout le temps et la latitude nécessaires, en évitant de les presser.
6. Attendez patiemment que les gens aient fini de dessiner avant de commencer à poser des questions. Sur la base de la carte, interrogez les participant(e)s. Formulez les questions en veillant à ce qu’elles soient à réponse ouverte et ne portent pas de jugement. Manifestez votre intérêt, intervenez fréquemment et laissez les gens s’exprimer.
7. S’il y a des informations supplémentaires susceptibles de présenter de l’utilité, vous pouvez poser des questions ciblées, une fois que la conversation portant sur la carte est terminée.
8. Enregistrez tous les produits visuels, qu’ils soient réalisés sur le sol ou sur papier. Soyez précis et exact et notez soigneusement les informations de référence (lieu, date, et noms des participant(e)s si possible).
CARE, organisation internationale à but non lucratif, a fait usage de la cartographie communautaire dans son évaluation de la violence sexuelle dans les camps de réfugiés de Dadaab, situé à la frontière du Kenya et de la Somalie. Il a été demandé aux participant(e)s de dessiner une carte de la communauté du camp et d’indiquer les zones présentant des risques élevés pour les femmes. Dans l’un des camps, celles-ci ont identifié plusieurs zones clés où elles ne se sentaient pas en sécurité :
1) Les buissons entourant le puits communautaires, où les agresseurs se cachent pour attaquer les femmes;
2) La frontière ouest du camp par laquelle les bandits peuvent entrer facilement par des trous dans les haies d’épineux;
3) L’hôpital du camp, où les femmes font la queue avant le lever du soleil pour la distribution de coupons qui leur permettent de se présenter plus tard dans la journée à la visite médicale.
Cet exercice a permis aux responsables de l’ONG d’identifier des mesures qui permettraient d’améliorer la sécurité des femmes.
Source : Igras S, Monahan B, Syphrines O. Issues and Responses to Sexual Violence: Assessment Report of the Dadaab Refugee Camps; Kenya. Nairobi, Kenya: Care International; 1998. Cité dans Velzeboer et al. 2005.
Au Cap (Afrique du Sud), des chercheurs ont demandé à des lycéennes de dessiner une carte des lieux où elles ne se sentent pas en sécurité. Cette carte a indiqué que ces jeunes filles considéraient comme présentant des dangers particuliers :
1) Le portail du lycée, où d’anciens élèves viennent vendre de la drogue et harceler les jeunes;
2) Les toilettes qui, outre leur état de saleté, sont des lieux où les filles risquent de se faire harceler par des membres de gangs; et
3) La salle des professeurs hommes, où ceux-ci s’entendent entre eux pour y envoyer les filles, sous prétexte d’aller y chercher divers articles, pour que leurs collègues puissent les harceler ou les violer pendant leurs heures libres..
Les filles avaient si peur de s’approcher de la salle des professeurs qu’elles se débrouillaient toujours pour y aller à deux de manière à pouvoir se protéger mutuellement.
Source : Abrahams N. School-based Sexual Violence: Understanding the Risks of Using School Toilets Among School-going Girls. Cape Town, South Africa: South African Medical Research Council; 2003. Cité dans Velzeboer et al 2005]
La cartographie communautaire est également un excellent outil pour recueillir des informations sur les types de services disponibles au sein d’une communauté donnée, les lieux où ils sont disponibles et les difficultés que peuvent éprouver les femmes pour y avoir recours. Les cartes peuvent indiquer l’emplacement des postes de police, abris et centres d’accueil, dispensaires d’hygiène, centres de counselling et de dépistage et autres services, et constituer un cadre qui contribue à la compréhension des facteurs et des obstacles qui s’opposent à l’accès des femmes à ces services. Elles peuvent permettre de constater, par exemple, qu’un dispensaire ou un centre de dépistage se trouvent dans un lieu public visible (et que la sécurité et l’anonymat des femmes qui s’y rendent ne sont pas assurés), que les postes de police et les tribunaux se trouvent à plusieurs kilomètres de distance du domicile d’une femme et d’autres services et ne sont pas desservis par les transports publics, ou que les centres d’accueil sont situés tout près du domicile ou du lieu de travail d’un agresseur.
Au Royaume-Uni, l’Equality and Human Rights Commission et la End Violence against Women Coalition ont mis au point des services de cartographie en ligne pour les survivantes, qui sont disponibles dans tout le pays. La Carte des lacunes met en évidence les disparités en matière de disponibilité des services pour plaider en faveur d’un accès égal des survivantes et de femmes vivant dans des situations de violence à tous les services dont elles peuvent avoir besoin. Parmi les services reportés sur ces cartes figurent : les services relatifs à la violence générale à l’égard des femmes, les services relatifs à la violence domestique, les refuges pour femmes (abris/espaces sûrs), les services pour les femmes membres d’ethnies minoritaires, les tribunaux spécialisés dans les affaires de violence domestique, les services relatifs aux violences sexuelles, les centres d’accueil et d’aide aux victimes d’agressions sexuelles, les services d’aide aux victimes de la prostitution, du trafic des personnes et de l’exploitation sexuelle.
Voir les cartes.
Diagrammes de Venn
(Care International, 1999)
Les diagrammes de Venn, également dits matrices des relations ou diagrammes de Venn-Chapati, sont utiles pour analyser les distances sociales, les structures organisationnelles ou les relations interinstitutionnelles. Le facilitateur trace des cercles de différentes tailles pour représenter les personnes ou les organisations reliées au problème ou à la communauté étudiée. La taille des cercles indique l’importance de la personne, de l’organisation ou du point de prestations de services considérés. L’emplacement du cercle sur la feuille indique à quel point l’article est accessible pour la personne ou la communauté. On peut également utiliser des couleurs pour mettre en relief les perceptions ou les relations positives ou négatives au sein de l’entité considérée. Cette technique est utilisable avec de petits groupes comme avec de grands groupes.
Une autre méthode consiste à produire deux diagrammes par groupe, l’un représentant la situation réelle et l’autre la situation idéale. Ces diagrammes permettent de comparer les points de vue de différents groupes sur un sujet donné.
Lors d’une étude participative menée par le Réseau nicaraguayen des femmes luttant contre la violence auprès de femmes de régions rurales, celles-ci ont produit un diagramme de Venn pour évaluer l’opinion du public sur le projet de loi relatif à la violence domestique. Le diagramme indique qui sont les personnes et les institutions qui pourraient venir en aide à « Maria », femme qui est battue par son mari. La taille des cercles et leur proximité de Maria indiquent à quel point chaque entité représentée pourrait lui être utile ou est accessible pour elle. Le texte accompagnant les cercles indique les opinions exprimées par les femmes du groupe.
Source : Velzeboer et al., 2005
Il est possible d’utiliser conjointement différentes méthodes qualitatives. Le diagramme de Venn ci-dessous, en conjonction avec l’histoire ouverte de Leila présentée plus haut, donne davantage d’informations qui permettent de mieux comprendre son expérience et les mécanismes d’appui dont elle dispose.
Qui peut aider Leila ? Cas de violence domestique. Diagramme de Venn établi par le personnel du Fiji Women’s Crisis Center (FWCC) de Suva
Photovoix et histoires numériques
(Heise and Ellsberg, 2005)
Les techniques de la photovoix et des histoires numériques, aussi dites « shoot back », constituent une excellente méthode de recherche participative. Elles fournissent des documents enregistrés rendant compte de rapports émanant de personnes directement concernées sur un sujet donné. Ces documents sont créés par les membres de la communauté au moyen de textes, de commentaires audio enregistrés, de photographies, de vidéos, de dessins et de compositions musicales. Ces approches sont utilisées dans le monde entier dans de multiples domaines, notamment ceux de la lutte contre la violence domestique, le viol, le harcèlement et autres agressions sexuelles.
Les étapes du processus sont les suivantes :
(Wang, 1999 as cited in Ellsberg and Heise, 2005)
- Cerner le problème.
- Définir les buts et objectifs généraux.
- Recrute des décisionnaires en tant qu’audience des constats de l’exercice photovoix.
- Former les formateurs.
- Mener une formation à la technique photovoix.
- Définir le thème initial/les thèmes initiaux des photos.
- Prendre les photos.
- Faciliter la discussion collective.
- Permettre une réflexion critique et un dialogue.
- Choisir les photos sur lesquelles sera fondée la discussion.
- Définir le contexte et la narration des histoires.
- Codifier les problèmes, thèmes et théories.
- Documenter les histoires.
- Mener les activités d’évaluation formative.
- Atteindre les décisionnaires, les bailleurs de fonds, les médias, les chercheurs et les autres agents mobilisés pour induire des changements.
- Mener une évaluation participative de la mise en œuvre de la politique et du programme.
Comme pour toutes les techniques de recherche concernant directement les êtres humains, il importe avant toute chose, dans le processus de production des histoires numériques, de veiller au bien-être des participant(e)s. Il est important que le facilitateur, le narrateur et l’observateur fassent preuve de sensibilité, soient clairs et agissent de manière responsable. Cela peut se faire en respectant les principes suivants:
- En recrutant sur des bases volontaires des participant(e)s qui comprennent le processus et les implications de la participation. Les narrateurs peuvent être recrutés auprès d’organismes ou d’organisations partenaires qui répondent à des besoins spécifiques, et peuvent comprendre, par exemple, des femmes et des filles survivantes ayant accès aux services, des éducateurs et des activistes.
- En s’assurant que les participant(e)s donnent leur consentement en toute connaissance de cause et aient la possibilité de cesser de participer à tout moment.
- En veillant à ce que le produit final émerge d’un atelier de production de médias participatif dans lequel :
Les participant(e)s œuvrent en étroite coopération avec une équipe de formateurs sur le contenu, l’image et les autres aspects du produit vidéo final;
Les participant(e)s acquièrent des compétences, par une aide pratique dans les domaines de pour l’édition, de l’informatique, etc., qui leur permet de produire eux/elles-mêmes leurs produits.
En outre, il est de bonne pratique de réaliser à l’intention des facilitateurs un guide de discussion détaillé accompagnant les vidéos, pour assurer l’emploi de celles-ci de manière éthique, axée sur les droits de la personne et sensible aux sexospécificités. Ce guide peut inclure diverses composantes telles que :
- Des conseils d’orientation sur une large gamme de sujets, depuis l’auto-examen jusqu’au choix d’une méthode de discussion;
- Des sommaires et des transcriptions des histoires;
- Les points clés à aborder;
- Des questions de discussion, aussi bien générales que portant spécifiquement sur l’histoire;
- Un index des sujets des histoires;
- Des références aux sites web et des informations sur les organisations qui fournissent une aide en rapport avec le sujet.
La photovoix et les histoires numériques ont été utilisées pour étudier la violence à l’égard des filles dans les établissements scolaires, pour mieux appréhender les attitudes des prestataires de soins et de la communauté envers les femmes séropositives qui ont subi des violences, pour documenter les expressions alternatives de la masculinité, pour partager les expériences des activistes diffusant des messages de tolérance zéro, et pour de nombreuses autres initiatives.
Ressources supplémentaires :
Digital stories on gender, human rights and violence against women [Histoires numériques sur le genre, les droits de la personne et la violence à l’égard des femmes (Sonke Gender Justice). Disponible en anglais avec des guides de discussion accompagnateurs.
Digital stories of youth experiences in Brazil [Histoires numériques des expériences des jeunes au Brésil] (Promundo et Silence Speaks). Disponible en portugais avec sous-titres en anglais.
Digital stories on domestic and intimate partner violence [Histoires numériques sur la violence domestique et entre partenaires intimes] (Close to Home). Disponible en anglais.
Video for Change: online training video [La vidéo pour le changement : vidéo de formation en ligne] (WITNESS). Disponible en anglais, français et espagnol avec un manuel d’accompagnement en anglais, français, russe et espagnol.
Lignes de temps
(Heise and Ellsberg, 2005)
Les lignes de temps (ou calendriers saisonniers) sont utiles pour explorer les tendances au fil du temps et les événements importants aboutissant à certains changements. On peut les utiliser pour mesurer les expériences au niveau national, par exemple les événements ayant mené à des changements spécifiques apportés à la législation sur la violence domestique. Elles ont également leur utilité pour analyser le changement au sein d’une communauté, par exemple lorsque la violence sociale prend des proportions graves, ou les expériences de la vie d’une personne, par exemple la période où une femme a commencé à être maltraitée par son mari et les mesures qu’elle a prises subséquemment pour résoudre le problème.
Dans une ligne de temps, les événements ou les tendances sont indiqués en années, en mois ou en jours. On peut reporter les événements sur un axe horizontal, ou tracer une ligne sur un axe vertical pour indiquer l’augmentation de la fréquence ou de la gravité d’un problème donné. Une méthode communément employée dans la recherche participative consiste à demander aux membres de la communauté de dessiner la ligne de temps ou le calendrier sur le sol au moyen de bâtons et d’autres objets naturels tels que des feuilles d’arbres, cailloux ou fleurs, pour indiquer les événements clés. Il est souvent utile d’associer à cet exercice de multiples parties prenantes (par exemple le personnel et les bénévoles d’un foyer pour femmes battues, des femmes activistes et des officiers de police travaillant avec les survivantes de violence), qui peuvent se rappeler collectivement l’historique et la séquence d’événements en rapport avec le problème examiné.
« Le chemin parcouru » Programmes de lutte contre la violence sexiste au Nicaragua et à Vanuatu
Dans le cadre d’un examen participatif des programmes de lutte contre la violence sexiste en Amérique centrale, les chercheurs ont fait faire aux participant(e)s un exercice dit « le chemin parcouru ». Cet exercice a été présenté au groupe comme suit :
"Si nous imaginons le processus de changement, quel qu’il soit, comme un chemin qui nous mène d’un point à un autre, nous constatons que ce chemin n’est généralement pas une ligne droite. Il y a des virages et des bosses; il y a parfois des cours d’eau à traverser et des rochers à escalader; nous arrivons parfois très loin d’où nous avions imaginé que nous serions et nous faisons parfois un très long parcours pour nous retrouver pratiquement à notre point de départ. Parfois, en revanche, nous couvrons de longues distances et nous trouvons en chemin de nombreuses choses très belles, des fleurs, des arbres qui nous donnent des fruits et de l’ombre. Imaginons le travail de votre groupe comme un tel parcours. Il y a, à un bout, votre point de départ et à l’autre, le point où vous en êtes aujourd’hui. Recréons les choses que vous avez faites le long du chemin pour vous amener au point présent. Quand (quelle année) et comment le voyage a-t-il commencé pour votre groupe ? Quelles ont été les principaux événements qui vous ont aidés à grandir ou qui vous ont présenté des difficultés ?"
Les dates importantes ont été reportées le long de la ligne de temps, avec la description des événements. Les événements positifs ont été indiqués au-dessus de la ligne (repérés par un symbole tel qu’une fleur) et les circonstances ou événements négatifs sous la ligne (repérés par un symbole tel qu’un caillou).
Discussions de focus groups
(Heise and Ellsberg, 2005)
Les discussions de focus groups sont une méthode des plus utiles pour recueillir des informations en un temps relativement bref. Elles conviennent mieux à l’exploration des normes, des opinions et des pratiques qu’au recueil d’informations sur les comportements effectifs ou sur des détails de la vie au niveau personnel. Le focus group est un groupe qui présente des particularités tenant à son objet, à sa taille, à sa composition et à ses procédures. Il est généralement composé de six à dix personnes choisies parce qu’elles partagent certaines caractéristiques pertinentes par rapport à la question sur laquelle porteront les discussions. Dans certains cas, ces personnes sont choisies spécifiquement parce qu’elles ne se connaissent pas entre elles, mais il est fréquent que cela ne soit pas possible, en particulier lorsqu’elles appartiennent à la même communauté ou à la même organisation. La discussion est soigneusement planifiée et est conçue pour recueillir des informations sur les opinions et les perceptions des participant(e)s concernant un domaine d’intérêt défini.
- Les focus groups se distinguent des groupes de discussion informels par plusieurs points importants :
- Des critères spécifiques, préétablis, servent à recruter les participant(e)s aux focus groups.
- Les sujets des discussions sont déterminés à l’avance et le modérateur emploie généralement une liste préétablie de questions ouvertes se succédant dans un ordre naturel et logique.
- Les discussions des focus groups peuvent aussi être menées au moyen de techniques participatives, telles que le classement, l’achèvement d’histoires ou les diagrammes de Venn. Cela peut être particulièrement utile lorsque l’on a affaire à des groupes ayant peu d’éducation formelle ou lorsqu’il s’agit de questions très délicates. (On notera toutefois que dans l’étude menée au Nicaragua sur un projet de loi relatif à la violence domestique, décrit ci-après, des techniques participatives ont été employées avec succès dans des discussions de focus group avec des magistrats et des spécialistes de la santé mentale ainsi qu’avec des hommes et des femmes de milieu rural.)
- Contrairement aux entrevues individuelles, les discussions de focus groups font appel aux interactions entre les participant(e)s sur les sujets présentés. Les membres du groupe peuvent s’influencer mutuellement en réagissant aux idées et aux commentaires émis au cours de la discussion, mais le modérateur ne vise pas à ce que le groupe parvienne à un consensus.
- Les focus groups ont été utilisés avec succès pour évaluer les besoins, élaborer des interventions, mettre à l’essai de nouvelles idées ou de nouveaux programmes, améliorer des programmes existants et générer toute une gamme d’idées sur un sujet donné à titre d’informations générales pour élaborer des questionnaires plus structurés. Toutefois, ils ne sont pas faciles à mener et exigent une planification soigneuse et une formation spécialisée des modérateurs.
Recommandations pour la planification d’un focus group :
- Les focus groups exigent des modérateurs formés. Il faut trois types de personnes : les recruteurs, qui repèrent et invitent les participant(e)s; les modérateurs, qui mènent les discussions; et les preneurs de notes, qui dressent la liste des sujets discutés, documentent les réactions de participant(e)s et, avec le consentement du groupe, enregistrent les discussions sur magnétophone (et en assurent la transcription).
- Les focus groups se composent généralement de membres homogènes de la population cible. Il est souvent bon de former des groupes de répondants qui présentent des similitudes de classe sociale, d’âge, de niveau de connaissances, d’appartenance culturelle/ethnique et de sexe. Cela contribue à établir un environnement où les membres du groupe se sentent à l’aise en présence des autres et libres d’exprimer leurs opinions. Cela permet aussi de distinguer les opinions qui sont attribuables à ces diverses caractéristiques parmi les groupes.
- Si possible, les organisateurs de focus groups chevronnés suggèrent de réunir au moins deux groupes pour chaque « type » de répondant(e) à interroger.
- La taille optimale du groupe est de six à dix personnes. Cela permet de s’assurer de la participation de chaque membre du groupe et laisse à chacun suffisamment de temps pour s’exprimer. Il n’est toutefois pas toujours possible de limiter la taille du groupe et certaines discussions de focus groups bien plus nombreux ont été menées avec succès.
- Analyse des données par groupe. L’analyse des données s’articule en plusieurs étapes. On commence par rédiger des sommaires pour chaque discussion. On rédige ensuite un sommaire pour chaque type de groupe (par exemple, sommaire de toutes les discussions menées avec des jeunes mères). Enfin, on compare les résultats des différents types de groupe (par exemple les résultats des groupes de jeunes mères et de mères plus âgées).
- Les discussions peuvent être enregistrées sur magnétophone pour les transcrire ensuite, mais cela accroît considérablement le temps et le coût de l’analyse. Une option consiste à prendre des notes soigneuses au cours de la discussion et de se reporter aux enregistrements audio pour les points sur lesquels il y a des doutes.
- Les focus groups donnent des informations sur les groupes de gens plutôt que sur des individus.
- Ils ne donnent pas d’informations sur la fréquence ou la répartition des opinions ou des comportements au sein de la population. Lors de l’interprétation des données, il est important de se rappeler que les focus groups sont conçus pour recueillir des informations reflétant ce qui est considéré comme normatif dans la culture. En d’autres termes, si les mauvais traitements infligés aux femmes sont acceptés culturellement, il ne devrait pas être difficile d’amener les participant(e)s à en parler franchement. En revanche, il y a certains sujets qui sont très délicats parce qu’ils impliquent des actions ou des orientations que la culture considère comme tabou ou sources de stigmatisation. Pour cette même raison, il est impératif de ne pas demander aux participant(e)s aux discussions de focus groups de révéler des détails de leur vie individuelle, personnelle lorsque la discussion porte sur un sujet délicat tel que la violence domestique et les abus sexuels. Si l’on a besoin de recueillir des informations pour la recherche sur les expériences individuelles des femmes, il conviendra de le faire en privé, dans le cadre d’entrevues individuelles. Dans de nombreux cas, les facilitateurs demandent aux participant(e)s de songer aux points de vue et aux comportements de leurs pairs, par exemple, ce qui leur permet de puiser dans leur expérience en termes généraux mais ne leur demande pas de révéler, dans le contexte d’un groupe, des détails de leur propre expérience ou de leur propre comportement.
Discussion de focus group: Plaidoyer en faveur d’un projet de loi sur la violence domestique au Nicaragua
Le Réseau nicaraguayen des femmes contre la violence a eu recours à des discussions de focus groups lors d’un processus de consultation sur un projet de loi contre la violence domestique présenté à l’Assemblée nationale. Étant donné que ce projet de loi prêtait à controverse (il criminalisait l’infliction de blessures émotionnelles et établissait des ordonnances d’interdiction de communiquer pour les maris violents), le but de l’étude était d’évaluer la viabilité politique ainsi que technique des mesures envisagées.
L’équipe chargée de la recherche a organisé 19 focus groups avec plus de 150 personnes représentant différents segments de la population, tels que des femmes et hommes de milieu urbain et rural, des jeunes, des officiers de police, des survivantes de la violence, des juges, des spécialistes de la santé mentale et des médecins légistes.
Les principales questions posées étaient les suivantes :
> Quels sont les types d’actes considérés comme violents ?
> Quels sont les types de mesures juridiques considérées comme les plus efficaces pour prévenir la violence ?
Les chercheurs ont fait usage de classements, de diagrammes de Venn et d’exercices d’établissement de listes libres pour lancer les discussions. Des hommes et des femmes de groupes membres du réseau ont reçu une formation de modérateurs de focus groups et les travaux de chaque groupe ont été menés par deux modérateurs. Des enregistrements audio des sessions ont été réalisés et les chercheurs ont présenté des notes dactylographiées et des diagrammes correspondant à chaque session. L’équipe de recherche a procédé à l’analyse en tant que groupe et les réponses des participant(e)s ont été organisées par thèmes.
L’étude a mis en évidence l’existence d’un large consensus sur plusieurs points, dont le plus important était la gravité des blessures psychologiques et l’importance des mesures de protection pour les femmes maltraitées. Il a été convenu très généralement que les suites psychologiques de la maltraitance étaient souvent bien plus graves et duraient bien plus longtemps que les blessures physiques et qu’il faudrait en tenir compte dans la définition juridique des blessures. Une femme rurale a noté que les paroles brutales et insultantes peuvent donner aux gens l’impression d’être « une vieille savate »; un juge a estimé, quant à lui, que « les bleus et les ecchymoses finissent par disparaître, alors que les dommages psychologiques durent à tout jamais ». Les résultats de l’étude ont été présentés en témoignage devant la Commission judiciaire de l’Assemblée nationale, qui s’est prononcée à l’unanimité en faveur du projet de loi.
Cartographie des parties prenantes
Semblable à la cartographie communautaire et aux diagrammes de Venn, la cartographie des parties prenantes est un outil participatif utile pour visualiser, du point de vue de la communauté, la gamme des acteurs qui interviennent, ou qui devraient intervenir, dans la lutte contre la violence à l’égard des femmes. Au nombre des parties prenantes peuvent figurer les refuges pour femmes, les groupes à base communautaire fournissant des services d’appui juridiques, psychosociaux, économiques et autres aux survivantes de la violence, les réseaux de soutien des femmes vivant en situation de violence, les ONG menant des activités dans les domaines du plaidoyer, des services juridiques et de santé, les entités gouvernementales chargées de l’élaboration et de l’application de politiques et de lois appropriées et les organisations internationales susceptibles d’apporter des appuis ou une assistance technique.
Les cartes communautaires peuvent aussi mettre en évidence les relations, la collaboration et la coordination entre les organisations et les secteurs, ainsi que les lacunes et les faiblesses dans ce domaine. La cartographie communautaire est un instrument idéal pour effectuer des évaluations formatives et pour exercer un suivi des progrès en matière de renforcement du rôle et des capacités des parties prenantes face à la violence à l’égard des femmes ainsi que pour doter les femmes des capacités requises pour faire valoir leurs droits et pour trouver leur chemin dans le réseau souvent complexe des organisations actives dans la riposte à la violence à l’égard des femmes.
Cartographie des parties prenantes de la prévention de la violence en Mélanésie
La cartographie des parties prenantes a été réalisée avec des groupes dans les membres appartiennent à plusieurs secteurs (tels que les commissions multisectorielles sur la prévention de la violence). Les participant(e)s ont dressé la carte de toutes les parties prenantes associées d’une manière ou d’une autre à la prévention de la violence. Différentes couleurs ont été utilisées pour indiquer si les groupes étaient des organismes gouvernementaux, des ONG, des organisations de la société civile ou des organisations internationales. La taille du cercle où est inscrit le nom du groupe indique l’importance de la participation de celui-ci (plus le cercle est grand, plus le groupe est important). Il a ensuite été demandé aux participant(e)s de nommer des groupes ou des personnes qui n’étaient pas impliqués dans la prévention de la violence mais qui devraient l’être. Les noms de ces parties prenantes sont entourés d’un cercle en pointillés
Resources supplémentaires :
The Most Significant Change Technique: A Guide to Its Use, Rick Davies and Jess Dart. Available in English.
The C-Change: Innovative Approaches to Social and Behavior Change Communication. Disponible en anglais.
Site web de l’International Institute of Education and Development, section « Participatory Learning and Action ». Disponible en anglais.
Site web des Resource Centers Participatory Learning and Action. Disponible en anglais.
Listening to Young Voices: Facilitating Participatory Appraisals on Reproductive Health with Adolescents [Écouter les jeunes voix : facilitation des évaluations participatives sur la santé génésique avec les adolescents](Care International, Zambie, 1999)
Ce guide contient des descriptions et des explications et indique certaines leçons à retenir de l’emploi de différentes méthodes participatives. Bien qu’il ait été élaboré pour les programmes de santé sexuelle et génésique axés sur les jeunes, les méthodes peuvent être adaptées pour être utilisées avec divers groupes de population et dans les programmes de lutte contre la violence. Disponible en anglais.
Monitoring and Evaluation with Children [Suivi et évaluation avec les enfants] (Plan Togo, 2006)
Ce guide a été conçu à l’intention des responsables du suivi et évaluation de projets impliquant des enfants. Il vise à associer ces derniers au processus d’évaluation et à déterminer les changements qu’il y a lieu d’apporter ou les points dont il faut tenir compte dans le travail avec les enfants. Disponible en anglais.