- Le secteur judiciaire/juridique devrait assurer la réalisation des interventions suivantes pour améliorer les prestations de services aux victimes des VFFF:
1. Élaborer des normes, procédures et listes de vérification sexospécifiques et les appliquer pour assurer la confidentialité et la bonne documentation des cas. La liste de vérification ci-dessous est un exemple pratique des questions à considérer pour faciliter l’accès des victimes de violences sexuelles à la justice.
9.1 Information judiciaire relative à l’incident
□ Date de l’incident
□ Incident
(Description de l’agression sexuelle, environnement coercitif)
□ Autres survivantes victimes de l’incident
Informations judiciaires sur la survivante
□ Affiliation/profession de la survivante
□ Appartenance ethnique des survivantes
□ Âge des survivantes
□ Vulnérabilités particulières (s’il y a lieu)
□ Assistance juridique disponible
(Vérifier la possibilité d’accès à une assistance judiciaire)
□ Assistance juridique et association
(Nom de l’organisation et/ou de l’individu)
□ Assistance juridique gratuite
(Programme d’aide juridique)
□ Situation de sécurité de l’individu
(Risque pour la survivante et sa famille au vu du suivi judiciaire)
□ Situation de sécurité du/des témoin(s)
□ Situation de sécurité des personnes apportant de l’aide
(Situation de sécurité des parties apportant de l’aide aux survivantes, intermédiaires, assistants juridiques et juristes)
□ Types d’atteintes à la sécurité
(Menaces physiques/morales, risque de représailles après la déclaration, actes d’intimidation, autres [préciser])
□ Retrait de la plainte de la survivante
(En raison de menaces et d’intimidation, pressions de la société, du mari, des parents, etc., précarité de la situation financière, distance géographique des autorités judiciaires, arrangement à l’amiable, corruption, ingérences politiques/des services de sécurité)
9.2 Information judiciaire relative à l’auteur allégué des faits
□ Affiliation/profession de l’auteur allégué des faits
(Civil, police, forces armées, démobilisé, etc.)
□ Appartenance ethnique de l’auteur allégué des faits
□ Âge de l’auteur allégué des faits
□ Disponibilité d’une assistance juridique pour l’auteur allégué des faits
□ Organisation/individu fournissant l’assistance juridique
□ Mise en liberté provisoire accordée: oui ou non
□ Date de mise en liberté provisoire
(Date à laquelle l’auteur allégué des faits a été mis en liberté provisoire)
□ Autorité accordant la liberté provisoire
(Organe judiciaire ayant accordé la mise en liberté provisoire à l’auteur allégué des faits)
□ Motif de la mise en liberté provisoire
(Procédure, corruption, ingérences)
9.3 Administration de la preuve
□ Disponibilité de témoins
(Existence de témoins directs/indirect et disponibilité aux fins de la déposition)
Disponibilité de preuves médico-légales avec consentement de la survivante
□ Disponibilité d’un certificat médico-légal
□ Analyse ADN
□ Autres analyses de laboratoire
□ Certificat de santé mentale
□ Disponibilité de témoins experts
(Expert médico-légal, psychologue clinicien, éléments de preuve qualitatif et quantitatif, anthropologue, autres)
□ Preuves substantielles
(Lettres, articles, vidéos, photos, courriels, conversations téléphoniques, autres éléments de preuve)
□ Irrégularités relatives à l’administration de la preuve
(Corruption, frais élevés pour les éléments de preuve recueillis, voies hiérarchiques des instances médico-légales, éléments de preuve restrictifs ou non recevables)
9.4 Informations relatives au processus judiciaire
□ Plainte: date
(Date à laquelle la survivante alléguée a déposé plainte contre l’auteur des faits allégué)
□ Plainte: autorité judiciaire réceptrice
(Police, police judiciaire, police militaire, parquet, auditeur militaire, saisie directe du tribunal)
□ Mesure: autorité
(Organe judiciaire ayant imposé une mesure judiciaire)
□ Organisme enquêteur et date d’ouverture de l’enquête
(Ouverture de l’enquête dans un délai de 12 heures)
□ Mesure: mesure
(Ouverture d’une enquête préliminaire, mandat d’arrêt, détention préventive/provisoire)
□ Organisme enquêteur et date d’ouverture de l’enquête
(Ouverture de l’enquête dans un délai de 12 heures)
□ Entrave à la justice
(Corruption, menaces, imposition de redevances illicites, ingérence politique/des services de sécurité/d’autres sources)
□ Numéro de dossier
(Numéro de dossier attribué à l’affaire)
□ Tierce partie (partie civile) représentant les intérêts de la survivante
(S’il y a lieu, indiquer l’organisation et la relation avec la réparation)
□ Mesure prise par l’organisme enquêteur
(Renvoi de l’affaire au tribunal, affaire close/rejet, imposition de redevances, etc.)
□ Délai écoulé entre l’ouverture de l’enquête et l’ouverture du procès
□ Durée du procès
□ Amicus curiae
(Mémoire présentant les points de vue, invitant à un amendement de l’acte d’accusation)
□ Procès à huis clos sur demande
(de la partie civile, s’il y a lieu, accusation, défense, juges, demande d huis clos rejetée)
□ Interprétation de l’environnement coercitif/consentement possible de la survivante au cours de la procédure judiciaire
(Qualité du consentement valide, silence et absence de résistance à l’acte sexuel, antécédents sexuels de la survivante, autres [préciser])
□ Décision: date
(Date du prononcé de la décision)
□ Décision: décision
(Type de jugement, années de prison, acquittement, condamnation par contumace)
□ Décision: type
(Procédurale, avant procès, procès, appels)
Infraction
(Violence sexuelle, viol, agression sexuelle, harcèlement en relation avec la plainte déposée et les chefs d’accusation)
□ Circonstances aggravantes demandées/accordées dans le jugement
(Captivité, environnement coercitif, gravité du préjudice physique/psychologique causé, intimidation sexuelle publique)
□ Réparation: demande
(Indiquer si une réparation a été demandée)
□ Réparation: montant
(Montant et type de réparation demandés)
□ Réparation: accordée
(Montant et type de réparation accordés)
□ Condamnation à une sanction effective ou non
(Évasion, protection de l’auteur des faits, exécution de la peine, paiement des dépens et indemnisation de la survivante, exécution d’autres formes de réparation)
□ Remarques/commentaires
Exemple: Care International en Érythrée.
En 2001, Care International et Haben, une ONG locale, ont élaboré un programme de prévention des violences sexistes et de réponse à ces violences dans les deux régions rurales de Gashbarka et de Senafe. Dans le district de Senafe, le programme cible les populations affectées par la guerre qui soit ont fui les conflits, soit sont restées dans les territoires occupés par l’ennemi. dans la région de Gashbarka, le programme cible les personnes rentrées du Soudan dont la plupart s’installent dans des villages nouvellement établis dans des zones isolées. Le projet se concentre actuellement sur les communautés de cette région, où il œuvre en partenariat avec l’Union nationale des jeunes et des étudiants érythréens (NUEYS). Le projet a opté pour une approche multisectorielle à base communautaire pour sensibiliser les communautés à la violence sexiste, accroître les connaissances des communautés en matière de droits de la personne, en particulier pour que les femmes comprennent bien leurs droits, et contribuer à l’élaboration de réponses appropriées pour les survivantes de violences sexistes.
Source : Extrait de Raising Voices and Safer Cities Programme, 2004, p. 24.
2. Veiller à ce que la réponse soit axée sur la survivante et se situe dans un environnement qui favorise le respect de sa dignité et assure sa sécurité physique et psychologique. Les survivantes doivent disposer de services d’appui, d’orientation, de garde d’enfant, de traduction et d’accès à des personnels sensibilisés aux diverses populations et à la problématique des VFFF et possédant des connaissances solides en la matière.
3. Veiller à ce que la justice soit d’un coût abordable.
- Établir et développer les programmes d’aide juridique pour les femmes et les filles pour faire en sorte que les survivantes des VFFF aient accès à des conseils et une représentation juridiques à moindres frais ou gratuits (pour de plus amples informations, voir le module Justice).
- Envisager l’exemption ou la réduction du montant des redevances.
- Analyser les coûts associés au dépôt d’une plainte, tant directs (redevances à acquitter pour se pourvoir en justice, frais d’ouverture de dossier ou pots-de-vin) qu’indirects (tels que les coûts d’opportunité à savoir le revenu d’un demandeur risque de ne pas pouvoir gagner s’il se pourvoit en justice). On recherchera des moyens novateurs qui permettent de réduire ou d’éliminer ces coûts (American Bar Association, 2012).
4. Veiller à ce que les victimes des VFFF aient physiquement accès aux institutions judiciaires étatiques et non étatiques. Plus les victimes ont à se déplacer sur de grandes distances pour demander de l’aide, moins elles tendent à déposer plainte (American Bar Association, 2012).
- Appuyer la mise en place d’institutions judiciaires dans les régions isolées où les survivantes risquent de ne pas avoir accès à la justice (UN WOMEN, 2011). Songer à l’établissement de tribunaux itinérants pour les zones rurales et éloignées. (Pour de plus amples informations sur les tribunaux itinérants, voir la section Améliorer l’accès physique des femmes à la justice.)
- Veiller à ce que les bâtiments soient aménagés de façon à être accessibles pour les femmes et les filles handicapées (Human Rights Watch, 2012).
- Envisager d’établir des tribunaux spéciaux pour connaître des affaires de violence à l’égard des femmes et des filles.
- Dispenser des programmes d’éducation civique pour combattre la crainte des institutions publiques et les attitudes négatives à leur égard.
- Appuyer les programmes d’accompagnement ayant recours à des avocats formés pour aider les victimes à accéder aux tribunaux et à en comprendre les règles et procédures.
- Résoudre les autres difficultés susceptibles de réduire l’accessibilité, notamment l’infrastructure des transports, l’insécurité, les limites aux déplacements et la nature menaçante du système juridique/judiciaire (American Bar Association, 2012).
5. Viser à une prompte résolution des affaires.
- Appuyer les efforts visant à réduire le nombre de causes à juger et à améliorer les procédures de gestion des dossiers (American Bar Association, 2012).
- Accroître la formation des assistants juridiques et le recours à ce personnel pour aider les victimes (voir Prestation et accès aux services).
6. Accroître la mobilisation communautaire en faveur de la défense des droits des femmes.
- L’appui offert par les communautés aux survivantes des VFFF et la coopération communautaire avec les mécanismes judiciaires sont d’une grande importance dans la réponse du secteur judiciaire aux VFFF. Les communautés peuvent notamment jouer un rôle primordial en reconnaissant et en promouvant le droit des femmes à une vie exempte de violence et en fournissant leur soutien aux femmes qui recourent aux instances judiciaires formelles ou informelles (Bott, Ellsberg and Morrison. 2004). Parmi les stratégies d’accroissement de la mobilisation communautaire figurent notamment (extrait de Bott, Ellsberg and Morrison, 2004, sauf mention contraire):
- L’offre de cours d’initiation aux lois en vigueur pour les groupes et les parties prenantes clés;
- Le soutien des ONG qui offrent des services d’aide juridique et de conseils psychosociaux;
- L’inclusion de la société civile dans les activités de suivi du système judiciaire;
- La sensibilisation du grand public et l’obtention de son soutien en faveur de lois nouvelles/révisées, au moyen de méthodes culturellement appropriées et adaptées aux circonstances locales, tels que des émissions de radio, des spectacles, des dramatisations et des matériels d’IEC;
- Le soutien des défenseurs des droits de la personne et des assistances juridiques communautaires qui jouent un rôle clé pour faire en sorte que les survivantes connaissent leurs droits, puissent accéder au système judiciaire formel et soient capables de s’orienter sur les diverses voies juridiques du secteur formel et informel (DFID, 2012). (Voir aussi le module Justice).
- Le renforcement des mécanismes de justice non étatiques et des mécanismes de résolution alternatifs, selon qu’il est approprié.
Étude de cas: Accès à la justice pour les femmes et les filles réfugiées en Tanzanie.
De 2008 à 2011, le Women’s Legal Aid Centre (WLAC) a mis en œuvre un projet dans les camps de réfugiés de Mtabila et de Nyarugusu, dans l’ouest du pays. Ce projet a aidé les femmes et les filles réfugiées à accéder à la justice et a renforcé les capacités des communautés de réfugiés à répondre aux taux élevés de violence à l’égard des femmes et des filles. Le WLAC éduque les femmes réfugiées sur leurs droits et leur apporte une assistance juridique et des conseils psychosociaux pour les aider à faire valoir ces droits. Le projet a mené des actions à différents niveaux:
- Il a établi des groupes d’aide juridique dans les camps et a dispensé des formations aux assistants juridiques qui fournissaient des services d’aide gratuits aux survivantes of violence;
- Il a dispensé aux réfugiés une éducation sur les lois et les droits de la personne par divers moyens: diffusion de matériels pédagogiques, productions théâtrales et musique folklorique, émissions de radio sur les droits des réfugiés avec informations sur les façons d’accéder à la justice et où s’adresser;
- Il a organisé des conférences-débats avec les dirigeants communautaires;
- Il a renforcé les capacités des membres des organismes d’application des lois à répondre à la violence à l’égard des femmes et des filles: police, services d’immigration, assistance sociale, services de développement, magistrature et administration des camps;
- Il a œuvré avec une force de police recrutée chez les réfugiés et élue par eux, lui a dispensé une formation sur les lois tanzaniennes et les droits des femmes et l’a mise en rapport avec des assistants juridiques qui lui ont fourni des conseils juridiques et des appuis;
- Il a œuvré avec les communautés d’accueil pour les encourager à respecter les droits des réfugiés.
L’enquête de référence menée par le WLAC a montré que les femmes hésitaient à signaler les violences commises à leur égard parce que la police s’en remettait aux familles des victimes pour traiter les affaires. Elle a également montré que la communauté décourageait les femmes de déclarer les faits aux autorités. Le rapport d’évaluation final a mis en évidence des changements notables:
- Les communautés de réfugiés étaient sensibilisées aux problèmes de la violence à l’égard des femmes et des filles et vigilantes en la matière et elles appuyaient les survivantes qui se pourvoyaient en justice; les dirigeants et les autres membres des communautés accompagnaient les femmes qui déclaraient les violences aux autorités et n’avaient plus honte d’être associés à elles;
- Les dirigeants des camps et les membres des tribunaux locaux qui appliquent le droit coutumier dans les camps renvoyaient les affaires de violence à l’égard des femmes et des filles à la police, au WLAC ou aux assistants juridiques au lieu de les traiter eux-mêmes;
- Les femmes et les filles réfugiées connaissaient mieux leurs droits et la façon de les faire valoir: le nombre de cas de violence signalés à la police a connu une augmentation sensible, étant passé d’un nombre négligeable avant 2008 à quelque 400 ou 500 par an en 2011;
- La police prenait plus au sérieux les déclarations des femmes et l’on a relevé des cas où les agresseurs ont été traduits en justice et condamnés. (adapté d’après DFID, 2012, pp. 24-25).
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