Un moyen puissant d’inciter à une réflexion critique est l’approche du théâtre forum, dite aussi méthode du Théâtre de l’opprimé (adaptée ultérieurement comme théâtre forum, théâtre image et théâtre invisible) élaborée au Brésil en 1971.
Dans le théâtre forum, une troupe de théâtre présente un texte soigneusement rédigé illustrant un problème de la communauté, par exemple quelques scènes où une collégienne subi les avances d’un de ses professeurs. La brève représentation terminée, les acteurs et actrices, ou un(e) modérateur/modératrice, demandent au public de discuter le problème et de proposer des solutions. Les membres du public sont invités à monter sur scène et à jouer le rôle de la personne dont le comportement doit changer, ou ils peuvent indiquer à un acteur/une actrice comment jouer ce rôle à leur place. Différents membres du public peuvent proposer leurs solutions, qui sont présentées sur scène, puis évaluées ensemble. Les participant(e)s s’identifient avec les personnages, s’impliquent psychologiquement dans le problème et s’immergent dans un processus d’apprentissage expérientiel puissant qui se déroule dans un cadre sans danger et psychologiquement porteur. Le théâtre forum peut être d’une grande efficacité pour exposer les contradictions et les risques associés à un respect automatique des normes sociales (acceptation tacite de la violence domestique, par exemple) et pour encourager les changements comportementaux.
Exemple : Le Réseau Africain pour le Développement Intégré (RADI) s’est servi de ce moyen pour sensibiliser en faveur de nouvelles dispositions législatives sur la violence domestique (adapté d’après le New Tactics in Human Rights Project/Center for Victims of Torture [Projet des nouvelles tactiques des droits de l’homme/Centre pour les victimes de la torture], 2004):
La violence domestique, de nature sexuelle en particulier, est un sujet tabou au Sénégal et elle est rarement déclarée aux autorités. Dans un pays où beaucoup de gens croient que les lois religieuses autorisent certaines formes de violence domestique, le RADI a dû trouver un moyen efficace de sensibiliser le public aux lois nouvellement adoptées. Étant donné les forts taux d’analphabétisme, et du fait de la remarquable résurgence du théâtre, le RADI a choisi ce moyen d’accroître son aptitude à atteindre son public, de sensibiliser celui-ci aux questions relatives à la violence domestique et de faire connaître aux gens les ressources disponibles.
Le RADI fait appel à des acteurs et actrices connus qui choisissent des femmes dans le public, avec lesquelles ils jouent des sketches improvisés présentant des scènes de violence domestique. Les actions spontanées des femmes et des membres du public montrent qu’ils connaissent bien ce genre de situations. Les sketches sont laissés sans solution et la direction des événements est laissée à des auxiliaires juridiques qui facilitent le débat sur les remèdes possibles et les options disponibles pour faire face aux situations de violence domestique. Ces mêmes auxiliaires juridiques expliquent également les ressources juridiques disponibles et les sanctions pénales et civiles dont sont passibles les auteurs de violences.
Le RADI puise à deux sources culturelles importantes dans cette tactique. D’une part, le théâtre est une méthode d’enseignement largement acceptée et bien comprise au Sénégal, et d’autre part, les programmes sont organisés en conjonction avec les mbottayes, rassemblements traditionnels de femmes, ce qui garantit la présence d’un public nombreux aux débats en groupe. Le RADI indique que la plupart des participant(e)s aux activités théâtrales et aux débats ont non seulement acquis des connaissances sur leurs propres droits, mais qu’ils/elles les ont également transmises aux membres de leur famille et à leurs amis.
De nombreux groupes ont employé le théâtre et les représentations théâtrales pour promouvoir les droits fondamentaux de la personne, mais le RADI associe le droit et le théâtre de manière unique. L’une des raisons qui font que le RADI réussit à atteindre son public est qu’il a recours aux structures sociales existantes des mbottayes. L’aspect théâtral offre un incitatif supplémentaire à la participation, de par son caractère distrayant, et assure aux participant(e)s une couche de protection supplémentaire qui facilite la conversation sans exiger d’elles/eux qu’elles/ils parlent de situations personnelles.
Pour plus de détail, lire la publication : Gaye, O., Le théâtre populaire pour briser le silence autour des violences faites aux femmes, Réseau Africain pour le Développement Intégré, 2004 (disponible en anglais et en français).
Pour des conseils supplémentaires, consulter le Guide to Interactive Drama for Sexual and Reproductive Health with Young People [Guide du théâtre interactif pour la santé sexuelle et reproductive avec les jeunes; de l’ International HIV/AIDS Alliance (2008). L’organisation internationale Theatre of the Oppressed [Théâtre des opprimés] propose sur son site des liens vers les praticiens du théâtre forum du monde entier. De nombreux groupes dispensent des formations pour les militants sociaux/militantes sociales.